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[Mouchoir #52]


Certains films me tiennent dans leur filet en moins de cinq minutes, avant même que les présentations soient faites. Le courant passe. Il y a rencontre. D'autres au contraire s'apparentent à de longs crescendos émotionnels. Il faut les apprivoiser, les travailler. Pour les apprécier pleinement, il faut les voir se déployer, se construire sous nos yeux. Voir les pierres de l'édifice une à une se rejoindre, décliner les mêmes motifs, les reconvoquer plus tard pour tendre vers un but commun, pour donner une forme unique au récit et à ses thèmes.


Le troisième film de Kinuyo Tanaka fait indéniablement partie des seconds. Ce n'est qu'au bout de 30 minutes, puis d'une heure, que l'on se rend compte de ce qui intéresse vraiment la cinéaste. La traduction française donne une clef en se trompant. Elle traduit Sein, sois pour toujours, par Maternité éternelle. En substituant un état à une partie du corps, le thème se déplace, se déploie. En perdant ses seins, Fumiko se sent moins femme. Le titre dit maternelle. Tanaka pose la question autrement : si le lien corporel entre mes enfants et moi, ces seins, ne sont plus, comment puis-je être toujours aussi femme, autant mère ? Et comment puis-je le rester, éternellement ?


La trouvaille de la cinéaste pour échapper à cette question existentielle et à son abîme, pour y ajouter un thème-tiers, c'est une phrase toute simple qu'il faut attraper au vol : Fumiko, sur son lit d'hôpital, à ne plus voir ses enfants, semble elle-même « retomber en enfance. » Le film, en une phrase, métamorphosé, s'apparente à un cycle sur l'enfance, un embranchement de relations constamment relancées. Fumiko et ses enfants qu'on lui arrache après un divorce. Fumiko et sa mère qui s'occupe d'elle. Fumiko mèrenfant lors des visites. Fumiko adolescente qui cherche à redevenir femme, séduisante. Et des enfants, finalement plus si enfants que cela devant la situation, déjà adultes.


D'une justesse assez folle, sans tomber dans les pièges du mélodrame poussif ou mielleux, la Tanaka de derrière la caméra s'empare ici de sujets humanistes intemporels et des façons de montrer les corps qu'on n'aura jamais vu auparavant au cinéma ; il nous manquait cet œil fin et cru à la fois, en un mot aiguisé.


7,5.


[17/02/22]

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