Je sais que c'est vraiment tiré par les cheveux d'autant plus que c'est plutôt Dostoïevsky qui serait à l'origine de cette affaire mais j'aime bien ce parallèle entre irlandais bretteurs, après tout, la raquette est peut-être l'épée contemporaine.
Ceci étant dit il faut bien avouer que ce film est sûrement l'un des meilleurs de Woody Allen, toute une partition finement ciselée dont la musicalité est évidente. Sans jamais changer de ton on a des montées de gamme, des silences et des ruptures de rythmes impeccablement ordonnés.
Et c'est le ton qui importe. Car tout semble léger dans le monde des riches, les conversations sont superficielles , les mines avenantes et les soucis futiles. On ne peut pas dire que cela soit éblouissant mais ce monde suave et cotonneux aspire inéluctablement Chris comme des sables mouvants. Il s'y glisse comme dans le lit et le ventre de sa future épouse, répondant à un appel profond et fort naturel mais il n'y a rien d'étonnant à ce que cette intromission dans cet ersatz de matrice demeure un premier temps stérile.
D'autant qu'il va y trouver sa sœur jumelle déjà en place mais pour le moins mal accrochée. La fiancée du frère de sa fiancée tient déjà le rôle qui lui est dévolu, à savoir celui de l'occupant de l'ascenseur social. Ils sont le reflet d'un même monde, celui qui aspire à atteindre l'autre sphère et leur attirance est programmée. Nul besoin dans la mécanique de l'histoire que Nola soit incarnée par Scarlett Johansson et sa chair aimantée. D'ailleurs le rôle ne lui était pas dévolu à l'origine. Mais cela justifie un peu plus l'attirance de Chris pour cette femme malgré le danger qu'elle lui fait courir. L'éjection de Nola est donc inéluctable d'autant plus qu'elle exprime une sensualité exacerbée en contrepoint de celle de Chloé.
Dire que l'une est américaine et l'autre anglaise est trop facile mais je pense que le fait que le film n'ait pu se faire aux Etats-Unis est un bien, l'ambiance britannique donne bien plus de liant à l'histoire.
Passons à l'issue fatale de cette histoire, les hésitations et les atermoiements de Chris n'y changeront rien, juste ralentir la rotation de la machine pour qu'on en voit mieux les rouages. Nola est enceinte alors que le couple légitime, bien que parfaitement constitué, ne parvient pas à être en phase. Si Chris agit pour éliminer le corps étranger ce n'est pas uniquement par arrivisme exacerbé. Il a déjà une conscience de classe. Il évalue les dégâts collatéraux de la révélation de son infidélité et de son succès et en tire, difficilement mais résolument, les conséquences.
Comme par magie la disparition de Nola fécondée rend à Chloé sa pleine et entière qualité de femme et la fait mère. Ce n'est pas la seule intervention fantastique dans cette histoire, l'alliance qui refuse de couler dans la tamise, les fantômes des victimes qui se manifestent, toutes ces choses inscrivent les faits dans un ensemble plus vaste sur lequel l'auteur ne revient pas. Il se contente de constater que des forces antagonistes agissent et que quand l'une gagne, l'autre perd. Et quelque part c'est toujours le même côté qui gagne : l'immanence de l'ordre social. Le film se garde bien de donner un avis sur la question. Non, Woddy Allen n'a pas fait un film marxiste.