J'hésite entre Marx et le marxisme (mais pas le coca-cola).

Sans vouloir faire une redite des critiques que l'on peut trouver sur le site, il s'agirait de se poser la question suivante :
Que reste-t-il de ce film aux petits enfants de Marx et de Coca-Cola ?


Godard dresse une fresque sociologique des hommes et des femmes de ce qui préfigure mai 68. Comme toujours avec le réalisateur, c'est éparse et parfois on y comprend de prime abord rien. J'en prends pour preuve le début du film avec cette bande-sonore qui fait grincer. Pourtant elle prend tout son sens lorsque Chantal Goya demande à Jean-Pierre Léaud, s'il se croit le centre du monde ? Une simple question recentre le spectateur sur l'art cinématographique mais aussi sur le sujet de ce film : La relation entre le masculin et le féminin.


Et le film fourmille de réflexions, qui certes préfigurent cette révolte de mai 68, mais qui préfigurent surtout l'aujourd'hui. Entre-autres, mariage, prostitution, sexualité sont abordés et enfin la force, le regard et la réponse de fin sur l'avortement de Chantal Goya portée par le regard en plan fixe de Godard.


Combien ils sont nombreux ces plans fixes sur ses acteurs et combien ils sont signifiants. Leur portée est ici sociologique dans la mesure où l'auteur laisse tourner sa caméra et laisse ses acteurs réfléchir aux questions qui leur sont posées. D'une manière naturaliste, on retrouve des hommes et des femmes du quotidien obligés de se positionner dans le monde. Pensons à cette femme qui ne pense qu'à jouir des produits de consommation venus d'Amérique, mais qui est incapable de dire les conflits internationaux en cours, incapable de parler d'elle même si ce n'est que par le prisme de la consommation ou du prix qu'elle a gagné. Pensons aussi à l'amie de Madeleine qui ose botter en touche d'un "Ca ne vous regarde pas !" lorsque les questions deviennent trop intrusives pour elle. En clair, l'une est un produit de consommation absorbée par l'attrait du capitalisme, l'autre, séduite éventuellement par les formes du marxisme car elle est proche de Paul et ses amis, veut s'émanciper de cette société qui l'oppresse.


Ajoutons à cela une légèreté dans le propos porté par un Jean-Pierre Léaud fidèle à lui-même. Il porte dans le film des thématiques politiques légèrement datées mais contextuelles des années 60. La guerre du Viet Nâm paraît loin, mais la question posée sur les conflits et guerres dans le monde par Jean-pierre Léaud à cette jeune femme, elle conserve tout son sens actuel. Elle force à sa propre introspection car on ne peut que se comparer en bien ou en mal à cette jeune fille qui n'en sait rien. Qui sait - si ce ne sont des personnes politisées - quels sont les conflits actuels au moment où vous lisez cette critique ?


Par le temps qui sépare ce film d'aujourd'hui, c'est la question de la conscience politique, de la politisation des individus ou encore d'une force politique d'opposition qui peut être abordé. En effet, le militantisme de Léaud interroge sur le militantisme actuel. On retrouve des vestiges de ce militantisme communiste auquel s'ajoute de nouvelles thématiques - même si on est en droit de se demander si Godard n'infuse-t-il pas une dimension homosexuelle dans les refus de Madeleine envers Paul (rappelons-le le film se base sur deux nouvelles de Maupassant dont l'un traite ce sujet La femme de Paul-. La forme elle - graffitis, actions menées envers des personnes, groupes politiques - semble peu avoir changé, si ce n'est que la prise de risque est plus grande car les délits plus réprimandés. On peut seulement déplorer que ces forces politiques ne soient plus aussi prégnantes dans la société actuelle beaucoup trop libérale - le coca-cola aurait-il gagné ? Peut-être, mais doit-on pour autant regretter le communisme d'époque ? Non, mais il manque une réelle force d'opposition au libéralisme en place -.


Le mélange des tons entre l'humour de Léaud et ses lourdeurs auprès de Madeleine fonctionne plutôt bien. Pour ma part, son insistance met bien en lumière une dimension néfaste de la masculinité. Et les références constantes au cinéma de Godard ou encore au Général Doinel sont elles aussi plutôt plaisantes.


C'est enfin le regard d'un réalisateur qui mérite une attention particulière. Le film est politique et constamment dans la défiance. Que ce soit par les cartons menant à la réflexion philosophique - et quel choix ce Merleau-Ponty ! - , par la force du montage toujours en décalage qui est soit dans la défiance politique, soit dans le jeu avec le spectateur (le presque champ contre-champ de la rencontre entre Paul et Madeleine par exemple). La valeur sociologique de l'image de ce film prend tout son sens lorsqu'on le compare à des archives INA telles que l'on peut trouver sur les réseaux sociaux.


En définitive, ce film est celui d'une génération comme le philosophe et le cinéaste le disent si bien, mais ce serait oublier qu'un philosophe aussi bien qu'un cinéaste infuse à sa génération et aux générations futures sa propre vision du monde.

Micuit
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le 18 févr. 2022

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