Martyrs est le digne représentant d'une frange extrêmement peu médiatisée du cinéma franco-belge. De quels genres peuvent le plus se revendiquer nos plus proches cinéastes ? La comédie, le drame, le thriller... Les français aiment le cinéma d'horreur, au point que toute une culture populaire s'y trouve rattachée : avez-vous déjà fait des soirées pizza et films d'horreur ? Avec de magnifiques sélections, tels Vendredi 13, Les Griffes de la nuit ou Destination finale. Autant de films à propos desquels tout le monde s'accordera sur leur irréalisme.
Voilà où le bât blesse : le français moyen aime se faire peur devant un film d'horreur, à condition d'y trouver une catharsis qui le fera jubiler au terme de son expérience. Que penser d'un film d'horreur "réaliste", dans son scénario autant que ses protagonistes ? Un film dépeignant des situations horribles mais vraisemblables ? Où se télescopent des atrocités porteuses d'interrogations existentielles des plus sérieuses ? Sans aller jusqu'à voir un con fini sans aucune sensibilité dans le français consommateur de films d'horreur moyen, difficile de ne pas y voir une stricte séparation entre le divertissement et la vraisemblance. Il suffit de voir l'accueil réservé qu'ont pu rencontrer Calvaire, Frontière(s) ou, justement, Martyrs.
Un film à l'ancrage éloquent, démarrant sur fond d'affaire d'évasion d'une jeune fille maltraitée, une imagerie de la fugue fortement ancrée dans l'inconscient collectif français, en grande partie relayée par la presse. Martyrs se divise en deux parties, de longueurs inégales, mais de portées équivalentes dans la dramaturgie de son scénario. C'est ainsi qu'on passe d'une hystérie caractéristique et viscérale à une sorte de torture porn éprouvant qui s'offre le luxe de ne pas se limiter qu'à de la dégradation physique pure et simple. Il y a une réelle beauté dans la violence de Pascal Laugier, qui fouille dans le drame psychologique, dans l'impact psychosomatique de la torture.
C'est ce qui participe d'un aspect extrêmement glauque dans ce film. L'heure quarante de Martyrs est une heure quarante complète de violence omniprésente, dans la psychologie des personnages (entre panique, rage et complaisance) autant que dans l'esthétique sanglante du long-métrage. Une heure quarante quasi-intégralement filmée dans le même décor, une maison blanche aux décorations immaculées très vite tachées de traînées écarlates, ou dans les recoins obscurs et intimidants de sa cave. Rigoureux dans tous les aspects de son œuvre, Pascal Laugier ne laisse pas une seconde à son spectateur et met les nerfs à vifs durant toute la durée du film.
Paradoxalement, c'est également par un contrepied majeur au genre horrifique (dans son approche américaine) que Laugier livre l'un des meilleurs films de genre de la décennie. Point de moteur narratif par l'espoir et la lutte : dans la deuxième partie, Anna se résigne à son sort (lequel ? No spoilers, découvrez-le donc à l'issue de cette lecture...), et la mise en scène insiste perversement, sur l'intensité et la longueur de ses supplices. Point non plus de torture porn à la sauvage ou de sévices complaisants: sacralisée, la victime incarne à elle-seule la souffrance à l'état pur : le cadrage s'attarde longuement sur ses blessures et les procédés mis à contribution pour la torturer, avec en appui une musique lancinante et proprement glaçante.
Plus qu'un énième torture porn agressif et aseptisé, Martyrs est une expérience unique, puissante, sans ambages, au potentiel traumatique déstabilisant. Une œuvre porteuse d'une conception métaphysique de la souffrance, qui va du traumatisme à la vengeance, de la folie à la transcendance. Un film où l'horreur, le gore, la violence, trouvent leur justification expérimentale dans une fin ouverte déconcertante, qui stimulera votre cortex cérébral...