Un bien piètre documentaire sur une très grande artiste qui ne cesse de poser problème - le film s'arrachant lui péniblement à apporter des réponses toutes faites à des questions qu'il ne se pose même pas. C'est drôle, lors d'une remise de prix à Florence, Abramovic cite une partie de son manifeste : "l'artiste ne doit pas se voir comme une idole". Les deux réalisateurs ne devaient pas être derrière leur caméra à ce moment là (ce qui expliquerait en partie leur relative absence de mise en scène). Si le film arrive parfois à bien circonscrire les intentions et la force des performances de l'artiste, il échoue à parler du public, de ceux qu'elle a regardé sans bouger pendant trois mois au MoMa. Pire, je le trouve assez cynique à leur égard, les dépeignant comme des groupies cédant à un grand malentendu orchestré par Marina, ses proches décrivant d'ailleurs sa performance avant tout comme un autoportrait. Il y avait autre chose à dire et à construire autour de cette expérience extraordinaire en utilisant les moyens du cinéma, qui par définition peut capter cette altérité à laquelle s'est confronté l'artiste sans relâche. Il s'agissait peut-être de contredire, ou au moins dépasser, les intentions que l'artiste et ses sbires pouvaient donner de son travail - mais le film n'a pas ce courage, il reste du côté de l'idole. Finalement, les plus beaux moments sont ceux où la caméra s'attarde sur les vigiles du musée, qui s'inquiètent de l'état de l'artiste, de cette table qu'on retire et qui de fait n'installe aucune distance de sécurité, de ces individus qui ne parviennent plus à marcher en sortant de la performance, ou plus beau encore de la façon dont ils empêchent une femme de s'assoir nue face à elle - la, en choisissant de montrer ce refus, le film met un peu en crise la rigidité du travail de l'artiste ("si j'avais su que c'était la règle, j'aurai suivi la règle" déclare la jeune femme en pleurant). À travers ces vigiles, le film fait un peu vivre cet espace, ces lumières, ces bruits qui ont accouru au 6eme étage du MoMa pendant trois mois durant, et parvient un peu à parler de ceux qui l'ont traversé, et de toute la grandeur d'une artiste qui a d'abord su nous révéler à notre présence. Ce film aurait peut-être été sublime s'il s'était intitulé : People are present. Il s'intitule seulement comme s'intitulait l'exposition, ce qui en dit long sur les ambitions des deux documentaristes.

B-Lyndon
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le 11 août 2018

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