L'occupation a dressé les français les uns contre les autres, comme dans une guerre civile. Les traumatismes engendrés par les haines, les trahisons, les vengeances, les justices sommaires auront marqué cette génération et laissé des traces sur les suivantes.


Julien Duvivier nous présente un huis clos ou les survivants d'un réseau de résistance cherchent à identifier celui qui les a trahis. D'une certaine manière, il nous montre un échantillon assez juste de ce que fut la résistance avec des gens de toutes origines des plus modestes aux plus aristocratiques, des extrêmes droites aux extrêmes gauche, des curés aux athées, qui n'ont en commun que leur engagement et la camaraderie de ceux qui ont combattu ensemble, ceux qui ont le sentiment d'avoir su se révolter quand la majorité courbait l'échine. Ce choix qui semble évident aujourd'hui ne l'était pas à l'époque.
A partir du moment où l'on apprend qu'un membre du réseau a trahi, la camaraderie est viciée par le soupçon. Chacun passe à tour de rôle sur le grill. Les faiblesses, les ambigüités, les mesquineries sont mises à jour. L'amitié pourra-t-elle survivre à cette épreuve? Certainement pas si le coupable n'est pas identifié.
Malheureusement, Duvivier manque d'inspiration, abandonne un suspect pour passer à un autre, puis y revenir. Il fait durer artificiellement le suspens. L'ambiance qui aurait dû rester lourde et poisseuse n'est plus qu'une série de petits rebondissements sans suite.
Je m'interroge aussi sur la volonté d'un groupe d'anciens copains de vouloir exercer leur propre justice des années après.


Des réunions de ce genre eurent lieu plusieurs fois chez mon père. Les fois où j'ai connu le contenu de ces affaires, il a toujours été décidé de ne pas intervenir. Par exemple, d'anciens résistants avaient retrouvé une ancienne agente française de l'Abwehr, vivant en Allemagne sous un nom allemand. Elle était responsable de la chute de plusieurs réseaux qu'elle avait infiltrés et par voie de conséquences de nombreuses tortures, exécutions et déportations. Plein d'idées romantiques, je ne comprenais pas qu'on n'envoie personne pour l'exécuter.


En réalité, les résistants avaient vécu différentes étapes qui leur avait appris une certaine modération.
Pendant l'occupation, les résistants combattaient dans les pires conditions possibles. Ils ne pouvaient faire de prisonniers. Un prisonnier qui s'échappe aurait condamné tout un maquis. Ils ne pouvaient pas non plus faire bénéficier du doute un suspect: c'était tout le réseau qui en dépendait. Ils ne pouvaient fermer les yeux à cause d'une amitié d'enfance ou d'une parenté, leur vie en dépendait. Beaucoup ont commis par nécessité des actes qui les ont marqué et qu'ils n'avaient pas envie de revivre.
A la libération de nombreuses personnes qui avaient des choses à faire oublier ou qui voulaient se donner bonne conscience après avoir rampé pendant quatre ans se sont montrés plus "patriotes" et plus intransigeants que les vrais résistants. Ils ont lynché, tondu, jugé sommairement et exécuté de nombreux présumés collabos sous les yeux des vrais résistants dépassés.


Des années plus tard, d'anciens résistants qui avaient été amenés pendant l'occupation à exécuter un ami d'enfance qui avait choisi le mauvais camp, n'avaient peut-être pas très envie de renouer avec une justice sommaire entre amis, mais certainement très envie de savoir, ne serait-ce que pour libérer les amitiés de toute suspicion.


Duvivier évite cet écueil par une pirouette.

-Marc-
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le 8 nov. 2019

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-Marc-

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