Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

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Cher membre de Sens Critique.


Sache que je t'envie, surtout après avoir vu Mank.


Et je te déteste un peu aussi.


Car en livrant day one un avis totalement arrêté ou sûr de lui, donnant dans la dithyrambe analytique et référencée ou, malheureusement, dans le négativisme sans retour, tu me renvoies finalement à ma pauvre condition.


Celle, donc, d'un spectateur lambda sans réel esprit critique, sans grande capacité d'analyse. Et sans, surtout, le bagage à épithète cinéphile que je rêve pourtant de posséder un jour.


Surtout après un seul visionnage, sans doute, vu ta rapidité à dégainer ta prose.


N'y vois cependant pas ici critique, encore moins un quelconque procès en légitimité. Non, vraiment pas.


Car je vais être franc avec toi, cher membre. Parce que moi, Mank, lors de ma première fois, j'ai eu l'impression qu'il ne se montrait pas facile à approcher, encore moins à s'approprier. Pas facile de rentrer dedans, quoi, comme on le dirait trivialement.


Difficile, donc, au terme de ce premier visionnage, d'écrire quelque chose de censé pour ma part.


D'autant plus que je ne te cacherai pas que j'ai donc un peu tiré la moue, pour tout te dire. Parce qu'en général, David Fincher, j'adore immédiatement, d'habitude. Mais devant Mank, C'est que je n'avais pas, sans doute, pu me reposer sur mes certitudes et mes facilités. Le fait, par exemple, qu'on allait me prendre par la main un minimum, m'expliquer certaines choses et me montrer le chemin, comme le fait à peu près quatre vingt dix pour cent de la production d'aujourd'hui aux yeux des plus exigeants.


Alors même que la thématique du film m'intéressait au plus haut point, comme avait pu le faire Hitchcock, du côté de l'autopsie d'un film, ou encore, sur un mode drolatique et déjanté, Ave Cesar ! levant un coin du voile sur les arcanes de l'âge d'or hollywoodien.


Mon 6, lâché au petit matin, comme si j'en avais un peu honte et voulais qu'il passe inaperçu, a donc pu t'étonner. Et te conforter dans ton sentiment que le masqué, c'est quand même bien un bourrin, et que dès qu'il s'agit de hausser le niveau de jeu, il n'y a plus grand chose derrière le masque de hockey qui fait peur.


Mais même si je n'avais pas des masses accroché la première fois, certaines des lignes de dialogue de Mank, des constatations assez amères de son personnage principal, de ses tentatives de prise de conscience, tout cela a commencé à prospérer, à prendre de l'ampleur.


J'étais donc sûr qu'au terme de ma deuxième fois avec Mank, j'allais réévaluer ma note, trop faible à tes yeux, et en saisir la saveur et le goût de whisky tourbé de son ambiance, de ses qualités formelles, de son sens d'une certaine maniaquerie, de la patine de son noir et blanc sublime. Tandis que de ses ombres surgit, justement, un personnage de l'ombre de l'usine à rêves : le scénariste.


Celui qui, déjà, ne jouit pas de la considération qu'il mérite, ravalé au rang de "simple" auteur et critique de théâtre new yorkais. Occasion de souligner le travail intérieur de l'artiste, de donner corps à son processus de création. Tout en secouant l'audience, de le prévenir, dans un dialogue en forme de note d'intention, que le dernier film de David Fincher ne s'offre pas à son public, qu'il n'utilise aucune facilité pour lui plaire, dans une sorte de défi.


Mank sollicitera donc le spectateur presque à chaque instant, exigeant que l'on fasse un effort en allant vers l'oeuvre et ce qu'elle raconte, et non l'inverse. C'est ce parti pris qui, justement en fait tout le prix, essayant de faire prendre conscience, d'une certaine manière, qu'un film se mérite.


Et puis, Mank, même s'il s'engonce dans les années trente, ne cesse pourtant de parler de notre temps, quand il se désole, déjà, que le cinéma se trouve à une époque charnière de son histoire, en passant du muet au parlant. En se référant, dès son carton introductif, à la liberté totale d'Orson Welles, comme un souvenir inatteignable aujourd'hui, en constant écho avec le paradigme actuel où les auteurs n'ont plus droit de cité.


Une époque, la même que la nôtre, où les temps changeaient déjà : où l'on s'interrogeait sur les aspirations du public, où la crise économique et artistique sévissaient. Où l'on déplorait enfin l'omniprésence d'un genre qui devenait dédain, alors que le spandex n'était pas encore à la mode.


Mank ne croit donc déjà plus à Hollywood, tout comme sans doute Fincher aujourd'hui, lui qui se réfugie vers l'un de ses fossoyeurs, douce ironie, pour faire un film qui cause de cinéma et qui ne passera jamais sur un grand écran...


On sent enfin derrière ce Mank une intimité que l'on ne connaissait pas à David Fincher. Sauf que son oeuvre, plus elle avance et plus elle se dilue inexorablement, ayant épuisé toutes ses thématiques passionnantes et terriblement actuelles en imbibant son constat de considérations sur les puissances politiques et de l'argent pataudes corrompant la puissance artistique, le tout dans de longues séquences atones, désabusées, faisant littéralement sortir du film peu à peu. Au point qu'il ne reste de ces passages là, en fin de projection, qu'une certaine complaisance et un art consommé de la mise en scène intact, mais qui sonne parfois creux.


Et alors que j'étais certain de terminer ce maigre avis sur un 7 en vous persuadant que le dernier opus de l'ami David allait gagner en saveur au fil des séances, comme le bon whisky avec le temps, je me dis que c'est le film le plus intime de Fincher qui devient, bien malgré lui, pour moi, le moins apprécié. Alors qu'il parle avec le coeur, alors qu'il parle de notre passion commune.


Le cinéma a beau, toujours, être magique, pas sûr que Mank soit ce qui a pu lui arriver de mieux de mémoire récente.


Trois fois hélas...


Behind_the_Mask, à qui il Mank définitivement quelque chose.

Behind_the_Mask
6
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le 10 déc. 2020

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Behind_the_Mask

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