Les bad nights de Portland (Oregon)

L'espèce de dicton américain qui s'affiche sur les premières images du film ("When you fuck with a bull, you get the horns" - "Qui baise avec un taureau se prend un coup de corne") nous fait tout de suite craindre le pire, ou du moins nous branche immédiatement sur le sujet et l'ambiance du film. C'est le premier long (78 minutes) de Gus Van Sant et il l'a en grande partie financé lui-même. C'est du 16 mm noir et blanc (quelques images couleur par ci par là). Esthétiquement, c'est assez beau et même beau tout court ; ça convient aussi au sujet et au climat du film qui met en scène principalement un jeune Américain (dans les vingt) que ses goûts sexuels marginalisent et deux jeunes immigré mexicains sans-papiers, donc sans existence légale aux USA. Le film est inspiré d'une bref roman (ou longue nouvelle) quasi autobiographique. Walt, un Américain entre vingt et trente, tient un petit drugstore à Portland et tombe amoureux d'un jeune Mexicain rencontré dans un bar ou sur un trottoir de la ville (Johnny) qui dit avoir 18 ans, mais qui ne les a peut-être même pas. Ce Johnny est toujours avec un autre jeune Mexicain (Roberto) un peu plus âgé, qui est comme son frère aîné, en tout cas son grand pote. Johnny n'est pas intéressé par les mecs (et Roberto a priori non plus) et il repousse clair et net Walt quand celui-ci lui fait comprendre qu'il l'intéresse. Néanmoins, Walt finit par entrer en contact avec les deux inséparables via une copine (Betty) qui les invite à dîner chez elle. Une fois le contact noué avec les deux jeunes Mexicains, le film se passe essentiellement entre Walt et eux.
Le film est court en minutes mais si dense qu'on n'a pas l'impression d'un film court. Il se passe plein de choses. Le langage est cru, mais sans réelle vulgarité (et dieu sait que le sujet le permettrait), à une exception près vers la fin. J'attendais les "coups de corne" annoncés au début du film, tout en me demandant ce qu'ils seraient. Walt en reçoit plusieurs (aucun mortel, c'est le choix du scénariste et du réalisateur), mais il fait preuve de beaucoup de philosophie, résilience, patience et... amour, car il donne beaucoup à ces deux jeunes Mexicains qui sont illégaux sur le sol américain, donc que l'expulsion guette à tout moment, mais qui, surtout au début de leur relation, le méprisent et cherchent à tirer parti de lui au maximum.
L'histoire sonne vraie, comme les faits et rapports décrits. Les acteurs (trois ou quatre principaux, tous non-professionnels) jouent avec beaucoup de naturel. Ils font croire à l'intrigue racontée et ça doit s'être passé à peu près comme ça dans la réalité.
C'est aussi une étude sociologique, de moeurs et sur la sexualité masculine (rapports homo/hétéro, Américains/Mexicains, les dominants sexuels étant les dominés sociaux et vice-versa). Je reviens sur un point qui m'a frappé : c'est très cru, mais photographiquement assez pudique et la vraie vulgarité est absente du film. Et "miraculeusement", les trois protagonistes du film nous deviennent finalement assez sympathiques malgré leurs faiblesses ou leurs excès, malgré (ou pour ?) tout ce qui les exclut, tout ce qui devrait nous les faire rejeter.
C'est évidemment à mettre au crédit de Gus Van Sant et, je pense, signe qu'il a réussi son film. Il l'a tourné en 1985, mais pour favoriser sa distribution internationale, notamment en France où le réalisateur se sait bien accueilli, il l'a un peu retouché en 2005, si bien que son film a fait le Festival de Cannes 2006.
J'ajoute que j'ai trouvé Mala Noche assez différent de (et pas inférieur à) My Own Private Idaho que Van Sant a tourné quelques années plus tard sur le même thème.


Conclusion : c'est un film rare (qui m'a, par certains côtés, rappelé Los Olvidados de Bunuel), un chef d'oeuvre du genre, mais ça peut désagréablement impressionner les jeunes sensibilités.

Fleming
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le 23 avr. 2016

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