Ceux qui s’attendent à voir une fresque historique inspirée de l’œuvre de Shakespeare et non une pièce de théâtre jouée en décors naturels risquent d’être déçus. Le Macbeth de Kurzel propose simplement une mise en scène cinématographique de la célèbre pièce. Comme souvent avec ce type d’objet hybride, le résultat est étrange, quelque part entre le film et le théâtre d’ombres chinoises. Les répliques shakespeariennes semblent étrangement déplacées dans le décor des Highlands écossaises, au milieu d’images sanglantes et de personnages frustes. La barbarie de l’époque et la subtilité de la langue du siècle élisabéthain s’entrechoquent. La mise en scène est stylisée, faisant tantôt appel aux ralentis comme dans la bataille qui ouvre le métrage, tantôt à des silhouettes vues à contrejour et enveloppées de brume, telles des ombres chinoises, le tout associé à une musique dont le thème tragique et insistant n’en est que plus lancinant. C’est l’histoire de la chute de Macbeth. On le comprend dès l’ouverture, tout finira mal.


Dans les rôles principaux, Michael Fassbender et Marion Cotillard sont simplement royaux. Mais en dépit de leur excellent jeu d’acteur, ils ne parviennent pas à insuffler pleinement une âme au film. Dommage car il y a de belles idées. Ainsi, ajout par rapport à la pièce, l’ouverture du film introduit un jeune homme qui a tout l’air d’être le fils de Macbeth. Il meurt au cours de l’assaut contre les troupes de Macdonald. Plus tard, c’est son fantôme qui apparaît à Macbeth pour lui tendre le poignard fatal et le guider vers la tente de Duncan où Macbeth signera son destin en assassinant le roi. Il est ainsi suggéré que le crime perpétré par Macbeth et encouragé par son épouse est en partie motivé par la perte de ce fils, mort trop jeune dans une bataille menée au nom de Duncan. Ce point est d’autant plus important que le héros déchu est privé de descendance. Sa femme mourra sans engendrer d’enfant et, selon la prophétie même des sorcières, c’est la descendance d’un autre, son ami Banquo, qui montera sur le trône après lui.


Autre bonne idée, la représentation des sorcières, ici non pas dépeintes comme de vieilles femmes difformes mais au contraire comme trois jeunes femmes à l’allure de paysannes dont on ne sait que penser. Elles apparaissent et disparaissent comme des fantômes. Si Banquo n’était pas en compagnie de Macbeth lors de sa première rencontre avec elles, on pourrait se demander si elles ne sont pas le fruit de son imagination. Sont-elles d’ailleurs seulement humaines ou bien une incarnation des Parques, les divinités du Destin ? Et qui est cette petite fille qui les accompagne ? Se jouant du héros, leurs motivations demeurent obscures jusqu’au bout.


Leurs prophéties s’accomplissent les unes après les autres, donnant chaque fois plus de consistance à l’idée d’une puissance surnaturelle à l’œuvre. C’est finalement parce qu’il croit à ces prophéties que Macbeth est vaincu. Se battant contre Macduff et alors même qu’il a l’avantage, il se laisse tuer dès lors que Macduff lui révèle qu’il n’est pas né d’une femme (il est né grâce à une césarienne) et qu’il est donc celui destiné à l’abattre. Il est intéressant de voir ici que le héros se perd parce qu’il accorde bien plus de crédit à l’oracle des sorcières qu’à ses propres capacités. En effet, il ne fait aucun doute que Macbeth est un meilleur guerrier que Macduff : il est plus jeune, plus grand, plus fort, et, semble-t-il, mieux entraîné. Pour que Macduff gagne, il faut donc ce retournement, cet abandon de Macbeth, glacé de découvrir que celui qui lui fait face est celui-là même qu’il ne devrait pouvoir vaincre, et peut-être aussi désireux d’en finir, désormais qu’il ne lui reste plus rien sauf un pouvoir qui ne lui apporte aucune joie. Sa femme est morte (le film ne dit pas s’il s’agit d’un suicide), tout comme son fils, ses sujets le haïssent, et tout autour de lui ne se trouvent que des ennemis déterminés à le détruire. La mort au combat devient pour lui la seule porte de sortie. Mais sa disparition ne met pas fin au cycle de la violence, comme le laisse entendre le final du métrage. Alors que Macbeth git agenouillé dans la plaine enveloppée de brumes sanglantes, mort sans doute mais figé dans cette posture, le fils de Banquo, Fléance, récupère son épée. Va-t-il porter un nouveau coup à Macbeth ? Non. Il se détourne en fin de compte, courant vers l’horizon tout en brandissant l’épée. Le montage alterne ces images avec celles de Malcom dans le château, se préparant à devenir roi. Ainsi le final suggère que Malcolm connaîtra le même sort que son père : assassiné, non par Macbeth mais par Fléance, car les sorcières n’ont-elles pas dit que ce serait la descendance de Banquo qui monterait sur le trône ?

Jessalynn_ImFin
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le 25 nov. 2015

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