Mais que s'est-il passé dans la tête de Justin Kurzel ? Présentée en sélection officielle au festival de Cannes 2015 - une aberration à mon sens - son adaptation du Macbeth de Shakespeare est un des films les plus étranges que j'aie vus depuis longtemps. Qu'on se le dire d'emblée : je n'ai pas aimé, et globalement je trouve ça complètement raté, mais en même temps un peu fascinant, du genre qui vous attrape l'esprit par des détails, dont les lourdeurs et les excès ne manquent parfois pas de panache.


D'abord, le texte. C'est sûrement ce qui justifie la présence cannoise puisque le film choisit de respecter au mot près la pièce de Shakespeare, conservant les vers noirs et sibyllins de ce qui est pour moi sa meilleure tragédie, si ce n'est sa meilleure pièce. Le problème étant que les choix de découpage, d'interprétation et de mise en scène desservent bien souvent un des plus beaux textes de la langue anglaise. Cependant le verbe accroche et quelques vers célèbres claquent. Chaque comédien a son grand moment (pour lui, la mort de Lady Macbeth, pour elle, la lecture de la lettre et sa décision de tuer Duncan), le reste est mangé par des accents "réalistes" qui dénaturent l'anglais élizabéthain quand ils ne le rendent pas simplement inintelligible. Et un Macbeth qui maugrée et mâchonne ses vers, tout sexy soit-il, c'est gênant.


Les acteurs, maintenant. Sur le papier, Fassbender est un Macbeth idéal, lui qui est habitué des rôles de composition ambitieux et des méchants charismatiques. Cotillard en revanche, j'avais très peur. Au final le film est aussi inégal de ce point de vue : la première moitié dépeint une Lady Macbeth faussement en retrait, maléfique et viscérale, mais un Macbeth raté, trop rapidement dans l'hubris et dont le courage (ridicule scène de guerre inaugurale) ne tient pas pour quiconque a lu la pièce au moins une fois. Macbeth est une tragédie de la lâcheté et de la folie, et le courage que l'on prête à Macbeth au début de la pièce est une invention qui émane de lui et non la résultante d'un vrai geste héroïque. A l'inverse, la deuxième moitié du film voit un Macbeth souvent plus convaincant - sauf la fin, ratée, et une Lady Macbeth en roue libre et rédemptrice, ce qui ne fonctionne pas (ridicule scène de la tâche).


Plus généralement, le film souffre grandement des choix d'interprétation de la pièce. Tout est lourdement freudien, psychanalytique. Personne aujourd'hui ne mettrait en scène la pièce de la sorte, ça pue les années 80 et encore. Prologue et épilogue grotesques qui ajoutent des éléments inutiles à la fable de la pièce pour renforcer une discours lourd au possible sur la fertilité, la lignée, l'enfance. Symboles phalliques omniprésents et Lady Macbeth en femme castratrice (paie ton costume de vulve géante noire !) et dominatrice. Rien ne nous est épargné, de Macbeth qui jouit sur l'autel en décidant de tuer Duncan à sa Lady qui le rabaisse sans cesse en lui demandant si c'est un homme. Absolument ridicule. Et on ne parlera pas des trois sorcières qui deviennent 4 juste pour rajouter un enfant (symbole oblige), des apartés et des scènes en voix off qui dénaturent complètement le texte pour coller au montage insupportable de l'ensemble et de quelques moments de flou où je me demande si quelqu'un qui n'aurait pas lu la pièce arriverait à suivre vraiment ce dont il est question.


Mais le principal problème de tout ça, c'est l'esthétique absolument délirante donnée au film. Pêle-mêle on a l'impression de voir tantôt du Lars Von Trier période Antichrist, un clip de Woodkid ou de Mylène Farmer (la fin !), des filtres instagram, 300,Valhalla Rising, du sous Ben Wheatley, du sous Xavier Dolan... Bref, tout le pire du clinquant, clipesque et sur-esthétisant y passe. D'où les atroces et risibles scènes de bataille filtrées de rouge et d'ocre, saturées de ralentis et de fumée, au montage absurde et épileptique. C'est bien simple, c'est abrutissant et d'emblée, et le seul élément qui a maintenu mon intérêt c'est mon adoration du texte que je suivais, guettant le moindre écart. Le milieu du film, plus apaisé, délivre quelques jolis plans bien sentis, mais globalement la mise en scène est une catastrophe, servant de mauvais choix d'interprétation ou gênant même les quelques grands moments de jeu du film. Les comédiens sont très bons, mais on leur demande de jouer quelque chose de très maladroit et de pas du tout subtil, et ce ne sont pas quelques regards vides perdus vers des cieux absents qui vont sauver le tout. Objectivement, la photo, la musique sont très belles, mais avec ce sujet là, et les attentes qu'on y projette, c'est très casse-gueule, et ce ne sont pas des ralentis stylisés répétés à tout va, des filtres délirants en faux-raccord, des jeux de lumières compliqués mais qui ne servent aucun propos précis qui vont sauver le tout. Le film balance juste des idées "esthétiques" mais vides, parfaitement gratuites et qui ne contribuent en rien à la lecture de la pièce, qui par ailleurs sens vraiment la naphtaline. Les visions chères au théâtre du XVIe siècle sont traitées d'une façon aberrante, on devine l'idée (la vision est montrée de son point de vue à lui, donc comme quelque chose de matériel et de réel) mais ça foire complet. Du coup le film passe à côté des moments les plus cruciaux de la pièce : les sorcières (ce n'est pas un peu de brume et de jolis décors qui vont rendre la scène réussie), le meurtre, la fin. On ne cesse de penser à ce qu'en a fait avec une intelligence redoutable Kurosawa dans le Château de l'araignée, et de regretter que tous les ajouts du film (concernant surtout du hors champ, hors scène, des ellipses, des apartés passés en voix off) sont au mieux inutiles, au pire particulièrement agaçant.


Bref, un film qui souffre cruellement de ses choix esthétiques, de mise en scène et d'interprétation de la pièce. Le cul entre deux chaises entre une volonté de fidélité au texte et à la trame et la tentation d'un grand spectacle avant gardiste et divertissant, le film ne semble pouvoir plaire à vraiment personne. Après je me dis que quelqu'un qui n'aurait jamais lu la pièce et découvrirait tout pourrait y trouver son compte et que le film dégage malgré son côté bancal voire franchement raté quelque chose de néanmoins profondément fascinant. Mais bon sang, rien que pour le début et la toute fin, c'est une horreur. Shakespeare doit faire du trampoline dans sa tombe.

Krokodebil

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