"Tellement simple, mais tellement juste"


Le stop-motion, un univers à part



C’est par le biais de Ma Vie de Courgette que je découvre le procédé du stop-motion et son style visuel, et je peux me dire dorénavant séduite par cette technique d’animation. Si le concept parait long et fastidieux, le rendu n’en est que plus réussi. En effet, le stop-motion consiste à animer images par images des marionnettes (ou autres figurines et objets), jusqu’à ce qu’elles donnent l’impression de bouger. Elle se rapproche de la technique du dessin animé, à ceci près que le stop-motion utilise trois dimensions. À raison de 24 images par secondes, et d’une heure et 6 minutes de film, ce sont plus de 95 000 images qui ont été utilisées. On peut sans peine imaginer la complexité de la tâche, et qualifier l’équipe du film d’artistes ne serait pas leur rendre hommage.


Il est indéniable que ce procédé donne un véritable charme à l’image, et une sensibilité qu’on ne retrouvera même pas dans certains dessins animés. C’est ce qui rend le film touchant au possible, les regards de ces petits personnage en pâte à modeler sont plus poignants, plus humains que ceux des humains. C’est à travers ces yeux expressifs et désarmants que toutes les émotions sont transmises, et le stop-motion rend les personnages d’autant plus attachants.


Par ses couleurs édulcorées et ses décors fictionnels, le film évoque un univers différent du nôtre, ou plutôt rappelle notre monde vu par des yeux d’enfants. S’en dégage donc de l’innocence, qui nous plonge dans une ambiance particulière, presque proche du conte. Mais un contraste fort est créé entre l’image, douce et paisible, et le son, notamment les voix. En effet, ces-dernières sont particulièrement réalistes et terre à terre, et s’opposent à cette image qui mise sur le rêve. Je fais surtout allusion au début du film, et au dernier « dialogue » entre Courgette et sa mère.


Nous étions, depuis le début du film, en contemplation devant Courgette, qui semblait n’être qu’un enfant dans un univers enfantin. Pourtant, la voix de sa mère, ivre, vient rompre le cadre et l’idée que nous nous étions faite du film. C’est une voix rauque qui se met à hurler sur le garçon, et qui prouve définitivement que non seulement, Ma Vie de Courgette ne s’adresse pas à tous les enfants, mais qu’en plus, il est mature, réfléchi, pertinent et cru.


L’effet de cette scène est le suivant : imaginez que vous êtes plongés dans un bain chaud, caractérisé ici par le visuel, paisible. Tout à coup, on vous jette à la figure une bassine d’eau glacée, ici la voix de la mère de Courgette. Être immergés dans un univers fantaisiste et presque onirique, celui de l'enfance innocente qu'on s'imagine tous, et d'en être brusquement sortis pour être replongés dans cette réalité à laquelle nous pensons que les enfants sont insensibles, ce monde hostile, par le biais de cette voix de femme ivre : un véritable choc.



Jeunesse et tragédies



Le scénario de Ma Vie de Courgette est franchement bon. Même s’il n’occupe pas une place vraiment importante au sein de l’œuvre, il reste bien pensé. Sur une durée relativement courte, il parvient à montrer plusieurs destins tragiques et marques de la société. À travers les camarades de Courgette sont représentés plusieurs drames ainsi que leurs conséquences sur les enfants : drogue, alcool, racisme, cambriolages, pédophilie… La misère humaine à l’état pur, racontée par ses principales victimes. C’est sans oublier l’hypocrisie et l’addiction à l’argent dénoncés via la tante de Camille.


Si Ma Vie de Courgette peut être vu par tous, il ne pourra être compris par les plus jeunes. Il ne s’agit pas d’un film pour enfants : pour le comprendre en ayant moins de 10 ans, il faudrait pouvoir s’identifier à l’un des enfants, ce que bien sûr je ne souhaite à personne, mais qui est malheureusement vrai, et pire encore, courant. Ma Vie de Courgette est une critique, un choc, un miroir qui se tourne vers un sujet trop négligé dans l’art contemporain : l’enfance et ses difficultés.



Dire l’enfance



Il est des périodes de la vie qui sont extrêmement difficiles à retranscrire et à comprendre sitôt qu’on s’en échappe. L’une d’elles est bien sûr l’adolescence, dont la représentation est risquée. Mais on oublie trop souvent l’enfance qui, plus encore que l’adolescence, est effacée par la mémoire. Ma Vie de Courgette, non content d’avoir un propos pertinent, semble décoder à merveille cette étape. Il met en scène des enfants qui débutent leur vie d’une manière compliquée, à qui on ôte très tôt toute insouciance pour les plonger dans un monde cruel et hostile qu’ils devront endurer dès lors à moins d’un miracle qui n’effacera pas les douloureuses cicatrices.


Qu’en est-il de leur innocence, celle qui caractérise une enfance paisible ? On sent qu’elle n’est plus maitresse des personnages, et pour certains elle a laissé place à une maturité effrayante à cet âge. Camille par exemple, par sa maturité précoce, impressionne et inquiète car une telle sagesse implique un passé difficile qu'il est dramatique d'avoir à un si jeune âge. Simon représente le pessimisme et toute la douleur que peut éprouver un enfant dans sa situation, et se cache derrière une façade froide. Même si la fin du film semble optimiste, Simon est là pour nous rappeler qu’il n’y a pas de pur bonheur possible, du moins pas pour tout le monde. Il leur manquera toujours quelque chose, et cet aspect fait réfléchir quant aux responsabilités qu’implique un enfant, ainsi qu’à son statut dans la société. Une scène frappante du film, et surtout un plan, traduisent ce vide laissé par les parents : ces regards frappants, figés devant une mère et son enfant, observent ce qu'ils n'auront plus. Là réside la force du film, qui n’a pas besoin de mots pour exprimer des émotions puissantes, et cette scène le démontre à la perfection.



« Le vent l’emportera »



Ma Vie de Courgette est donc un petit bijou de sensibilité qui mélange habilement émotions et critique de la société et décrit des enfances difficiles avec une pertinence et un réalisme glaçants. Il n’est ni lourd, ni long, et est doté un scénario efficace qui raconte une histoire touchante recélant de nombreux messages. Entre les scènes contemplatives, les personnages expressifs sublimés par le stop-motion, entre des pointes d’humour enfantin et innocent, se cachent des destins tragiques qui ne côtoient que de trop près la réalité. Après avoir prouvé que de la pâte à modeler pouvait faire couler les larmes, Ma Vie de Courgette s’achève sur une note positive, sans abimer son esprit et son message par un happy-end pur et dur. Comme dirait Yorkan, "Ma Vie de Courgette est un film tellement simple, mais tellement juste".

Mia_Landa
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le 29 sept. 2017

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Mia_Landa

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