Sur certains aspects j’aurais aimé défendre Ma nuit.
On sent une envie de faire de la belle image, de donner une importance aux lieux et aux atmosphères, de coller au plus près des personnages et des sentiments avec un format 1.37 et des cadres très resserrés…
…D’ailleurs – et ce n’est pas anodin – j’avoue que sur le dernier tiers j’étais enfin pris d’empathie pour le personnage. La fragilité était palpable. Le sentiment à vif…
Enfin Marion existait à mes yeux pour ce qu’on voulait m’en montrer : une gosse qui apprenait à surmonter ses sentiments et à s’ouvrir à quelque-chose de beau…


Seulement voilà, pour arriver à ce résultat final-là, le chemin a été pilonné d’embuches et j’avoue pour ma part ne pas être parvenu à sauver l’essentiel, loin de là.
Parce que l’essentiel selon moi – du moins en ce qui concerne ce genre de cinéma qui entend s’hyper-centrer sur le « moi » du personnage – c’est d’être capable de singulariser suffisamment son sujet pour qu’on ait envie et intérêt à cheminer à ses côtés.
Or, trop souvent ce film nous ressort les stéréotypes du genre sans être capable d’aller au-delà. Je parlais à l’instant des cadrages très serrés sur les visages, mais je pourrais rajouter à cela des multiples plans-séquences tournés caméra au poing, les longs marches vues de dos, les moments de silence, les moments à blaser, les moments à zoner…
C’est un genre de cinéma qu’on connait tous par cœur. Ils sont tellement nombreux tous ces étudiants et autres auteurs bobos qui ont voulu s’inscrire dans le sillage des Godard, Jacquot et autres Varda que ça fait désormais plus d’un demi-siècle qu’on se bouffe un étalage permanent d’état d’âmes bourgeois…
Alors encore une fois pourquoi pas : dans le fond je ne dis pas non… Mais à condition donc d’être capable d’apporter sa touche ; sa contribution…
…Point sur lequel l’autrice Antoinette Boulat échoue à mon sens sur les grandes largeurs.


Parce qu’on ne va pas se mentir non plus mais globalement il pue régulièrement l’artifice ce film.
Trop souvent Lou Lampros en fait légèrement trop. Elle en fait légèrement trop quand elle traverse cette rue dès le premier plan pour montrer qu’elle n’est pas bien dans sa peau.
Elle en fait légèrement trop quand elle se montre mutique vis-à-vis de sa mère.
Elle en fait d’ailleurs aussi légèrement trop quand elle s’engueule avec elle.
Trop avec ses copines. Trop quand elle se recroqueville dans son lit sitôt constate-t-elle qu’Alex se trouve juste à ses côtés…
…Et le pire c’est que ce n’est pas de sa faute.


Ce n’est pas de sa faute parce que je trouve que la plupart du temps Lou Lampros joue plutôt juste. Les moments où son jeu ne marche pas c’est lorsque la caméra se montre trop insistante, c’est lorsque les silences sont trop appuyés, c’est lorsque certaines lignes de dialogue sont trop démonstratives…
Alors c’est sûr, ce n’est pas systématique, mais dans un cinéma qui se veut à fleur de peau – qui plus est dans un genre cinématographique aussi surreprésenté – ce type de balourdise ça fait franchement tâche. Ça fait cinéma d’étudiant qui a peur qu’on ne comprenne pas ou qu’on ne perçoive pas ce qui est dit ou montré alors qu’on connait déjà tous ce genre d’histoire par putain de cœur…


Trop souvent Ma nuit m’a agacé pour ça. C’était comme si son autrice avait l’impression d’être arrivée la première sur l’exploration du mal-être de la petite étudiante parisienne et qu’il suffisait de livrer sa contribution personnelle, son expérience personnelle sur la question, pour que forcément ce soit fort et vibrant…
…Et ça pour moi c’est vraiment le travers de ces auteurs nombrilistes, tellement focalisés sur eux qu’ils sont persuadés que ce qui leur arrive est unique et doit donc être partagé avec la Terre entière alors que tout ça est au fond bien commun…
On a tous un nombril. On a tous eu une enfance et une adolescence. On a tous perdu quelqu’un. Et non, un nombril n’est pas plus joli sous prétexte qu’il est jeune, bourgeois et parisien. Et non plus, un vague à l’âme n’est pas plus bouleversant quand il est jeune, bourgeois et parisien.
Il y a de la suffisance dans ce cinéma là qui m’exaspère pas mal ; comme si s’afficher soi et afficher son propre monde pouvait suffire pour entrainer l’extase générale.
Que ce film s’appelle MA nuit n’a d’ailleurs rien d’anodin.
Au fond, par ce film, Antoinette Boulat semble vouloir passer son temps à afficher du moi.
Ma nuit. Ma jeunesse. Mes copines. Mes malheurs. Moi. Moi. Et encore moi


Et c’est dommage qu’une fois de plus ce film soit à ce point marqué par la culture de la suffisance du moi parce qu’à certains moments il parvient à partager des moments qui, eux, sont véritablement singuliers.
En ce qui me concerne j’ai par exemple particulièrement apprécié ces quelques instants où Antoinette Boulat a su nous faire entrer dans cette nuit pour ce qu’elle avait d’unique ; pour ce qu’elle avait d’initiatique d’un point de vue sensoriel.


Je pense notamment à tous ces moments où les apparitions et disparitions d’Alex flirtaient presque avec une sorte de fantasmagorie, navigant entre mauvaise rencontre et début de belle histoire pouvant avorter à chaque instant.
Même chose en ce qui concerne tous les jeux de décalage entre sons et images. Il suffit d’une pluie dans un casque pour que l’atmosphère change tout soudain. A l’inverse, une explosion fantasmée au loin et on entre brusquement dans une toute autre nuit.


Mais le souci avec ces moments c’est qu’on les a déjà vus ailleurs. Plein de fois. Et qu’au fond ils ne sont que des amorces dont Antoinette Boulat ne fait finalement pas grand-chose.
Encore une fois, la suffisance semble avoir avorté l’essentiel…


Ce qu’il y a en plus d’assez terrible pour ce film c’est que – malheureusement pour lui – j’ai vu il y a peu une autre œuvre qui s'est risquée à la même démarche sur le fond mais avec une toute autre audace en ce qui concerne la forme : il s’agit de The Night is Short, Walk on Girl de Masaaki Yuasa.
Là aussi il était question de mettre en images et en sensations cette nuit où tout bascule dans la vie d’une jeune-femme, mais contrairement à Antoinette Boulat, Yuasa a de son côté pris le parti de se lancer pleinement dans le voyage sensoriel jusqu’au-boutiste ; un voyage d’autant plus impactant qu’il est riche, collectif et joyeux.
Et si je me permets de faire cette comparaison entre ces deux films, ce n’est pas pour reprocher à Antoinette Boulat de ne pas être partie dans l’animation délurée et joviale, mais bien plus pour rappeler à quel point, sur le terrain de l’exploration sensorielle, il y avait moyen d’aller plus loin et qu’en fin de compte – à bien tout prendre – ce Ma nuit ne s'est réduit l’essentiel du temps qu’à une simple nuit, avec une simple Parisienne, dans un film tout ce qu’il y a globalement de plus commun.


Alors dommage qu’après tant de temps passé dans le monde du cinéma, Antoinette Boulat ne se soit contentée de si peu.
Dommage qu’après trente ans, ses prétentions ne dépassent pas celle d’une jeune étudiante tout droit sortie de son école de cinéma.
Et si faire de jolis castings valorisés par de jolies images pourra peut-être séduire un public étranger consommateur d’images d’Epinal parisiennes à la Jeanne Damas, force est de constater que pour des gens comme moi – épris de cinéma – cette Nuit flirte trop avec la suffisance pour ne pas en fin de compte sombrer dans l’insuffisance.


Triste tout ça...

Créée

le 15 mars 2022

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