[Critique publiée dans CinéVerse]

Présenté hors Compétition dans la sélection Contrechamp du Festival d’Annecy 2020, le film Luxuriance accidentelle du rebus aqueux translucide a su se faire un nom – à rallonge – au milieu de la concurrence. Son réalisateur également. Le créateur-démiurge Dalibor Baric a dirigé le film, il l’a également scénarisé et monté. Sa musique ? Dalibor Baric. Ses graphismes et son animation ? Toujours Dalibor Baric. Dalibor Baric, un homme qui ne sait pas s’entourer.


«Être ou ne pas être, telle est la question, sinusoïdale, de l’anachorète hypocondriaque » chantaient les Inconnus dans leur chanson « Et Vice et Versa ». Si cette dernière était parodique et se moquait gentiment de la formulation alambiquée des chansons new wave de l’époque, le film de Dalibor Baric est tout ce qu’il y a de plus sérieux.


Luxuriance accidentelle du rebus aqueux translucide, de son titre anglais pas plus clair Accidental Luxuriance of the Translucent Watery Rebus, est un film expérimental, un cadavre exquis visuel aussi alambiqué que son intitulé. Son dossier de presse évoque son scénario anarcho-métaphysique en ces termes : « Martin a essayé de combattre le système, et maintenant il est en fuite. Sara est une artiste conceptuelle. Ensemble, ils rejoignent la commune révolutionnaire à la campagne. La police est sur ses traces. L’inspecteur Ambroz sait que les bonnes questions sont plus importantes que les réponses. Parce que peut-être que rien de tout cela n’est vrai. »


La phrase est lâchée : « peut-être que rien de tout cela n’est vrai ». Car il faut bien le reconnaitre avec toute la franchise et l’honnêteté qui nous caractérise : on ne comprend foutre rien à l’histoire de ce film.


Luxuriance accidentelle du rebus aqueux translucide ne ment pas sur son appellation de « rébus », et empile pendant 80 minutes des scènes sans rapport, seulement reliées entre elles par des rimes visuelles et autres associations d’idées. Aucune cohérence, aucune logique, on jurerait lire un livre de Yann Moix ou le programme d’Agnès Buzyn aux élections municipales de Paris.


Mais après tout, faut-il vraiment un scénario pour faire un bon film ? A priori non, sinon personne n’aimerait le cinéma de Nicolas Winding Refn. Il faut donc surement accepter de ne rien comprendre, et de se laisser « porter par les images ». Cela fait partie de « l’expérience ».


Les images donc, sont éminemment protéiformes. D’abord, les techniques visuelles empruntées sont aussi diverses qu’anachroniques, entre rotoscopie, cut-out, solarisation, contrastes expressionnistes, négatifs avec luminosité et couleurs inversées, effet comic-books…. Ceci donne un certain cachet intemporel au film. Un peu comme si Dalibor Baric avait exhumé un vieux stock de court métrages d’étudiants soviétiques, puis les avait ensuite compilés en rajoutant des filtres arty sur Adobe Première.


Malgré tout, Dalibor Baric connait ses classiques, et son long-métrage composite rappelle inévitablement les mouvements futuristes et modernistes, évoquant tour à tour Metropolis de Lang, Alphaville de Godard, ou encore La Jetée de Marker. Dans ce film à énigmes, où les réminiscences et les allers-retours mémoriels se succèdent, on ressent aussi l’influence d’Andreï Tarkovski, plagié quelque part entre Solaris et Le Miroir.


Exercice formel et visuel avant tout, Luxuriance accidentelle du rebus aqueux translucide aurait assurément sa place dans une exposition du Centre Pompidou, entre un emballage de Christo et une retrospective de Man Ray. C’est visuellement beau, très beau. C’est intriguant, hypnotisant. Est-ce suffisant ? Peut-être pas.

Kieros
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le 4 sept. 2021

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