Lucy
4.7
Lucy

Film de Luc Besson (2014)

C'est l'histoire d'un film presque entièrement construit autour d'un seul cliché: la Mary-Sue. Lucy est une belle jeune femme, un peu paumée dans la vie, dont on ne sait pas grand-chose si ce n'est qu'elle traîne avec des loubards, prend des drogues et habite en colocation avec une apprentie actrice elle aussi paumée dans la vie. Après avoir bu de la potion magique (ses yeux prennent une couleur saphir, pour bien que l'on saisisse la transformation à l'oeuvre), Lucy non seulement se métamorphose en la créature la plus intelligente de l'univers, espace et temps confondus, mais reçoit des pouvoirs hors-normes, totalement improbables y compris dans l'univers fictionnel auquel appartient le personnage (qui est en grande partie le nôtre), comme ceux de contrôler la matière à n'importe quelle distance, de maîtriser les ondes, de changer d'apparence physique, etc. Alors Lucy se décide à poursuivre ceux qui lui ont voulu du mal, ou bien tente d'accroître plus encore ses pouvoirs, ou bien cherche à gagner du temps face à l'imminente mort par overdose ou dissolution cellulaire qui la guette. On ne sait pas trop, le récit alterne entre différentes motivations possibles, au grès des circonstances. De tout façon, ce n'est pas ce qui importe : l'essentiel, c'est de montrer les superpouvoirs de Lucy, qui triomphe systématiquement de tous ses ennemis, sans jamais requérir l'aide de quiconque. Lucy n'a aucune personnalité. À part un coup de fil à ses parents, rien ne nous sera dit de ses amours, de ses passions, de ses peurs, etc. La potion magique en a fait une créature invincible, dépourvue de toute faiblesse, qui réussit dans tout, absolument tout ce qu'elle entreprend. Les autres personnages du récit sont en admiration constante pour elle, y compris les méchants. Ce sont d'ailleurs davantage des fonctions que des personnages : ils servent à introduire les pouvoirs de l'héroïne au spectateur (Morgan Freeman), ils permettent à l'héroïne d'atteindre l'objet qu'elle convoite (le policier français), etc. Enfin


Lucy connaît un final épique, où non seulement elle vainc son principal antagoniste, mais fusionne avec l'univers tout entier, se métamorphosant cette fois en une espèce de dieu vivant.


Voilà, tout est dit : un parfait exemple de Mary-Sue. Ce qui est intéressant avec les Mary-Sue, c'est que souvent elles sont la projection de l'auteur dans l'univers fictionnel. À travers la Mary-Sue, l'auteur, en l'occurrence ici le réalisateur, se représente lui-même comme un être doté de pouvoirs exceptionnels, suscitant l'admiration de tous, un peu comme les enfants quand ils imitent leurs héros préférés. Vu sous ce prisme, le film prend une autre dimension, devenant un cas très intéressant d'autoanalyse filmique. Au fond, Besson a voulu d'abord mettre en scène ses fantasmes d'enfant (ce qu'il fait dans une bonne partie de ses films) mais aussi de réalisateurs. La séquence finale nous montre Lucy manipulant l'espace et le temps exactement comme un réalisateur manipule sa pellicule au montage, opérant des arrêts sur image, revenant en arrière, accélérant le défilement. Lucy est partout, de même que son réalisateur. Lucy est l'occasion pour Besson de s'élever à la hauteur de vue d'un Kubrick, ce qui est probablement le rêve caché d'une bonne partie des cinéastes.


Au fond, Lucy est un cas très particulier de Mary-Sue: c'est une Mary-Sue qui devient une Mary-Sue en se comportant comme le réalisateur de l'univers fictionnel auquel elle appartient, comme si cet univers n'était plus au fond qu'une pellicule. Le film plat par excellence.


En tant que film à proprement parler, j'hésiterais entre 2 et 3/10. En tant qu'autoanalyse filmique, je mettrais un gros 7 voire 8/10. D'où la note intermédiaire.

ThomasCortado
5
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le 16 févr. 2017

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Thomas Cortado

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