Et « Dikkenek » apparut soudain comme un lointain souvenir…

Olivier Von Hoofstadt, moi je l’aime bien…
Et on ne va pas se mentir, si je l’aime bien c’est parce que c’est à ce gars qu’on doit « Dikkenek ».


« Dikkenek », ça ne s’explique pas.
Je pense d’ailleurs qu’il faut être Belge ou Nordiste pour être réceptif à ce trip.
Tout le monde n’a clairement pas le bagage culturel nécessaire pour percevoir le pouvoir iconique d’une place Poelaert et de son parking aux noms de niveaux ubuesques, d’un débit de Vedett dans un bistrot Duvel, ou bien encore d’un emblématique Yves-pilier-de-bar qui se saoule toujours dans les arrière-plans.
« Dikkenek », c’est à la fois une étude anthropologique mêlée d’une satire absurde, tout comme c’est également une incroyable déclaration d’amour et de tendresse à une beaufitude qu’on pourrait presque ériger au rang de patrimoine national.


Et voilà déjà que j’amorce mon troisième paragraphe et je me rends compte que je n’ai toujours pas parlé de « Lucky ».
…Mais en même temps c’est normal : je n’ai tellement pas envie de vous parler de ce « Lucky ».
« Lucky » c’est justement une tentative pour Von Hoofstaadt de se raccrocher à l’esprit de « Dikkenek », après quatorze ans d’absence et entre temps un seul long-métrage pas très chouette.
« Lucky » c’est cette volonté de renouer avec la faune beauf, avec le cynisme et l’outrance.
« Lucky » c’est l’envie de flirter à nouveau avec la ligne tout en se lâchant totalement dans l’irrévérence et la disgrâce.

Mais « Lucky » c’est surtout un échec sur quasiment toute la ligne.
Quelques belles idées qui sombrent à cause de choix d’écriture et de mise-en-scène d’une consternante fragilité.


C’est bête mais devant pas mal de scènes, j’ai senti Von Hoofstadt peu en confiance.
Toujours l’envie d’appuyer, d’insister, de s’attarder, histoire d’être vraiment sûr qu’on avait bien compris son intention ; qu’on avait bien capté que ses personnages étaient volontairement débiles, que c’était assumé et qu’il fallait rire de ça.
Ainsi on se retrouve régulièrement face à un film qui répète ses vannes, qui fait commenter par un tiers la stupidité du personnage moqué, qui sursignifie des détails qui ne sont pourtant pensés que pour être des toiles de fond.


Je pense notamment aux figures féminines. Toujours très sexualisées dans ce film, elles renvoient une image parfois ambiguë, à mi-chemin entre la projection du fantasme de beauf et de celle de l’Amazone émancipée des conventions sociales. Ainsi, ces femmes n’hésitent pas à se croquer des gigolos ; à tendre des pièges sexuels à des petits jeunes ou bien à jouir du plaisir salasse de cogner gratuitement les suspects…
Le souci c’est que Von Hoofstaadt insiste comme un gros lourd là-dessus. Comme s’il voulait être sûr que – malgré l’ambigüité de la figure – ça restait des femmes fortes hein ! #metoo #pasdeprisederisque #jveuxpasdennuis


D’un autre côté, ce sentiment de peu de confiance, il peut se comprendre…
Parce que franchement, à bien tout prendre, ça manque quand-même sacrément de densité.
Quand on a le panier d’âneries rempli d’idées comme c’est le cas dans « Dikkenek », forcément on ne s’attarde pas. On fait les choses avec sècheresse et puis ensuite on enchaine.
Là, y’a quelques (rares) idées sympas (moi par exemple j’ai plutôt bien aimé quelques moments lors de la démonstration de la brigade canine) mais tout ça se retrouve vite noyé dans une balourdise qui n’a ni le cynisme, ni la tendresse de « Dikkenek ».


Et à partir de là, certains vont peut-être commencer à me dire : « Bon ça va avec "Dikkenek" ! Le sujet c’est ce "Lucky" ! Pas "Dikkenek !" Et il serait temps d’arrêter de faire des comparaisons comme ça et de parler de ce film pour ce qu’il est vraiment ! »
Bah ouais ! Je vous comprends ! Moi aussi j’aimerais bien !
Seulement ce n’est pas moi qui fais tout le temps le rapprochement !
C’est Olivier Von Hoofstadt qui le fait !


Presque tout ce film c’est un décalque de « Dikkenek » !
Même exploration de la culture beauf !
Même duo de branquignoles qui se lance dans un plan vaseux !
Même personnage de flic sans limite – incarnée qui plus est par la même Florence Foresti !
Même découpage de l’intrigue entre ces différents personnages qui finissent par se télescoper !
Même brochette d’acteurs comiques censée densifier le caractère humoristique de l’ensemble !


Alors oui on essaye de tout faire pareil que « Dikkenek »…
…Mais le problème c’est que la comparaison ne se fait jamais à l’avantage de « Lucky ».
Et, d’une certaine manière, il suffit juste de s’arrêter à une seule comparaison pour se rendre compte de l’écart abyssal qui existe entre les deux.
D’un côté, tu as un duo Dominique Pinon / Jean-Luc Couchard.
De l’autre on a un duo Mickael Youn / Alban Ivanov.
Est-ce que j’ai besoin de commenter davantage ?


Donc non, « Lucky » n’est pas un nouveau « Dikkenek ».
Il n’est même pas un ersatz de « Dikkenek ».
Il est juste un pale duplicata difforme, comme une décalcomanie bon-marché mal collée puis arrachée à la va-vite

De la part d’un mec aussi rare et sympa qu’Olivier Von Hoofstadt, je trouve ça quand même terriblement triste…
A croire que ce gars a perdu lui-même la recette et la méthode…
Ç’en est même carrément à un point où on est en droit de se demander si un jour Olivier Von Hoofstadt sera capable de retrouver une fibre irrévérencieuse et tendre à la fois.
Ah ça, c’est sûr, c’est terrible…
Terrible d’avoir cette impression que, désormais « Dikkenek » ne pourra plus nous apparaître que comme un joyeux accident…
Un lointain souvenir…

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le 3 mars 2020

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