Les Beach Boys… On imagine mal ce groupe connoter avec l’image d’artistes torturés en proie à une flagellation psychique constante. Et pourtant… A travers le portrait de Brian Wilson c’est tout naturellement que cette figure du créateur incompris et maudit par son propre génie se retrouve exposée et décortiquée dans le Love & Mercy de Bill Pohlad, un producteur au nez creux (il a notamment produit les très peu médiatisés Into The Wild , Tree of Life et Twelve Years a Slave) qui s’est attaqué à la réalisation avec ce premier film soigné et franchement réussi.


Plus qu’un simple biopic sur un des groupes phares de la pop music, Love & Mercy se présente avant tout comme l’étude d’une psyché défaillante mais surtout surplombante. Loin de constituer une simple chronique musicale sur une figure connue d’un public qui, depuis, a pris de l’âge, le film nous plonge dans l’intériorité d’un esprit malade et malentendant mais pourtant terriblement doué en ce qui concernait l’agencement des sons.


Une Oreille créatrice


Le premier plan d’un film est souvent révélateur d’une grande partie de ses ambitions. Dans le cas de Love & Mercy, c’est un plan resserré sur l’oreille endommagée (à 95%) d’un génie pourtant à l’origine de virtuoses associations sonores. C’est de ce paradoxe fascinant que découle une bonne partie du film. Il s’agit ainsi d’étudier le processus de création d’une œuvre musicale, processus que l’on observe rarement aussi exhaustivement dans ce genre de biopic qui se focalise peu souvent avec érudition sur l’aspect technique et la collaboration associative avec les autres musiciens (extérieurs au groupe).


C’est avec une ingéniosité folle que Bill Pohlad nous propose une réalisation mimant ce désordre mental en faisant appel à une profusion de sons qui finit par nous affoler au moins autant que Brian Wilson. Sans tomber dans la stylisation poussive, la réalisation, par le biais d’une focalisation interne, nous donne ainsi à ressentir tout ce brouhaha sonore et nous sensibilise d’emblée à son mal être intérieur. Cette place importante du son dans le film est d’autant plus accentuée avec la structure particulière du film qui permet de suivre deux temps chronologiques et narratifs bien distincts mais ô combien liés. On a une partie qui se déroule ainsi dans les années 60 (de 65 à 68 plus précisément au moment où est notamment produit le brillant Pet Sounds) et la seconde partie dans les années 80. Cette importance de l’oreille se retrouve dans le fait l’on jongle entre des scènes assourdissantes d’enregistrement et des scènes au contraire, ultra silencieuses dans la seconde partie du film puisque qu’on se retrouve avec un protagoniste déchu de son propre talent. Elles permettent d’accentuer la déconnexion entre le Brian du passé, virtuose et inspiré et celui des années 80 qui n’est plus qu’un corps désincarné, aux antipodes de ses ambitions passées. Cette déconnexion fictionnelle est ainsi finement appuyée par une discordance formelle. On passe du documentaire musical et analytique au drame grisonnant marqué par une romance revivifiante.


Troubles ambitieux et troublantes ambitions


Car oui, Brian Wilson est un monstre d’ambition et comme tout artiste ambitieux, il est complexe. Pourtant sa psyché est d’une originalité étonnante. En effet, il souffre de troubles mentaux.. mais mal diagnostiqués, découlant d’un passé familial douloureux et sûrement d’un grand manque affectif lié à un père constamment désapprobateur et violent. C’est un étonnant parti pris que de présenter le cerveau labyrinthique d’un leader angoissé quand on sait les Beach Boys connotent encore beaucoup pour nous avec l’idée d’une légèreté musicale où chaque note, chaque parole, semble se glisser sur nous avec une simplicité saisissante.


Afin de stimuler ce portrait mental, le réalisateur a fait ainsi le choix d’une époque paroxystique en terme de création musicale. Au fur et à mesure que son génie prend de l’ampleur, Wilson perd une réalité qui lui devient totalement hostile et qui est exacerbée par la prise continue de drogue. A travers un montage d’une précision quasi chirurgicale, Paul Pohlad réussit le tour de force de dresser ce portrait mental sans tomber dans le cérébralisme pompeux.


De la compassion avant toute chose


Comme pour combler les défaillances morales des figures paternelles présentes dans le film, le réalisateur au contraire, pose un regard étincelant de compassion envers son protagoniste principal. Ceci est rendu d’autant plus possible qu’il évite soigneusement les écueils du biopic classique en en renouvelant le genre, s’éloignant ainsi des biopic âpres et peu délicats qu’on a l’habitude de nous servir depuis quelques années. En effet, il résiste à l’approche essentiellement diachronique (le groupe est déjà installé, sa genèse est totalement écartée). Il y a de la finesse dans l’ouvrage et on évite les écueils de l’exposition successive de faits reliés du début jusqu’à la fin. Il y a ainsi beaucoup d’ingéniosité à saisir Brian Wilson au moment même de l’apogée de sa création mais aussi de son vertige émotionnel.


Cette bienveillance provient aussi de la présence de Melinda Ledbetter, seconde femme de Brian Wilson (incarnée par la très convaincante Elizabeth Banks) et qui tentera par tous les moyens de l’arracher des griffes de son gourou médical : le docteur Eugène Landy joué par un Paul Giamatti assez lugubre. Mélinda est un personnage essentiel dans le film et constitue la figure maternelle absente. Elle sert aussi bien d’un point de vue purement narratif en constituant le fil conducteur de la partie se déroulant dans les années 80 mais elle permet aussi d’aborder une autre approche psychologique du personnage. Brian Wilson est vu à travers son regard plein de bonté. Il apparait certes assez vieilli mais toujours dans une constance enfantine.


Opérant des va et vient narratifs en changeant constamment de point de vue, Love & Mercy présente une hybridité générique saisissante, lui insufflant ainsi un rythme inlassable pendant deux heures. Tantôt biopic, tantôt romance inquiétante, le film présente des dissonances qui pourraient parfois dérouter le spectateur. Mais malgré un dénouement un peu trop sentimentaliste, Love & Mercy constitue bel et bien un réussite qu’il est conseillé de voir, qu’importe que l’on soit sensible ou pas à la musique des Beach Boys ou à la figure de Brian Wilson.


http://www.justfocus.fr/cinema/love-and-mercy-dans-linteriorite-agitee-de-brian-wilson.html

Inouille
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le 24 sept. 2015

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