Sous ce titre énigmatique que l'on pourrait traduire par L'AMOUR, C'EST LE DIABLE, un jeune cinéaste britannique nous propose sa vision de Francis Bacon. Peintre lui aussi énigmatique, Bacon est incarné par Derek Jacobi, acteur shakespearien par excellence croisé dans Henry V, Dead Again ou encore Hamlett, trois films de Kenneth Brannagh, fils spirituel du grand dramaturge anglais. Avec un pareil comédien, le réalisateur John Maybury ne peut que nous offrir une peinture tragique mêlant l'oeuvre et l'existence excentrique de Bacon. Le cinéaste s'attarde surtout sur la relation homosexuelle entre le peintre et un jeune homme qui fut pour quelques temps sa muse. Le film nous montre un Bacon peu recommandable qui fréquente les bars londoniens les plus glauques et qui ne dédaigne pas ramener des prostitués chez lui. Maybury nous le montre aussi amoureux de l'alcool et de toutes sortes de drogues plus ou moins nocives. Il commence son film par la rencontre entre ces deux êtres perdus que tout oppose. Par une nuit noire, traitée à la façon des films d'horreur de la Hammer, George Dyer, un petit malfrat de l'East End, pénètre dans une habitation par effraction. Perturbé par cet intrus, le maître des lieux survient et accepte ce don venu du ciel. Très vite les deux hommes deviennent très intime et s'engage dans une relation sadomasochiste. Tel un archange Dyer investit le social, l'intime et la création de Bacon. Il serait alors aisé de faire un rapprochement avec un autre couple maudit de l'histoire de l'art, Verlaine et Rimbeau, dont Agneska Holland vient de réaliser un film magnifique, Total Eclipse (disponible en vidéo et à découvrir de toute urgence). Comme l'actualité cinématographique fait bien les choses, F. est un salaud, film helvétique de Marcel Gisler traitant du même sujet entre une rockstar et son pygmalion dans le Zurich des années 70, s'apprête à sortir sur nos écrans. Mais revenons à Love is the Devil. Avec ce titre recherché, Maybury démontre que pour un artiste, l'amour prend le visage du démon et lui fait perdre tout créativité. Constat amer qu'il développe de façon en rien manichéenne dans son film. George Dyer est écarté par Bacon de la bonne société. En effet, ce dernier le tolère dans le privé mais ne veut pas se montrer en public en sa compagnie. Dyer, qui n'ose réellement avouer son amour, sombre dans les drogues. Voilà pour le fond. La forme du film de Maybury tient plus de l'expérience graphique que cinématographique. A tout bout de champ, il insère des images tellement rapidement que l'oeil du spectateur se fatigue à comprendre ce qu'il vient de voir. Cette débauche de couleurs entache l'écran et l'on en ressort avec un mal de crâne extraordinaire. On peut donc reprocher à Maybury de ne pas prendre son temps. S'il voulait montrer par là la frénésie de certaines oeuvres de Bacon ou sa folle existence, il aurait mieux fait d'utiliser l'oeuvre du peintre plutôt que d'essayer de la recréer en un langage cinématographique malheureusement trop proche des clips de MTV. Reste la performance hallucinante de Derek Jacobi qui incarne, à travers son jeu habité, une Londres en pleine déchéance. Dans le même plan, il est capable de passer de l'aristocrate bon teint au pire des déchet humain. Grâce à lui, Love is the Devil mérite tout l'attention que l'on peut lui accorder et offre une vision personnelle d'un peintre charismatique. Et, si un film parvient à attirer l'intérêt de ses spectateurs sur un artiste, on peut dire qu'il est réussi.
RemyD
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le 16 oct. 2010

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