Vargas est un homme qui sort de prison. Il souhaite revoir sa fille dont il n’a plus de nouvelles depuis son incarcération. On apprendra qu’il a tué ses deux frères, sans pour autant connaître les raisons qui l’ont poussé à commettre un tel acte. Le film d’Alonso se détache des carcans d’une narration classique, allant vers l’abstraction, la recherche de l’épure. Tout ce que va faire Vargas est très simple, il boit du maté, erre de ci de là, achète du pain, des bonbons, baise une prostituée, choisit un chemisier pour sa fille, le tout avec la même impassibilité. Même lorsqu’il est pris à partie par un de ses codétenus qui tente de le frapper, Vargas ne réagit pas. Sa solitude est telle qu’elle s’exprime par son impossibilité à véhiculer une émotion autre que l’absence.


Il doit porter une lettre à la famille d’un de ses amis qui est en prison. En échange, on lui prête une barque pour qu’il puisse rejoindre sa fille, qui vit dans une région reculée au fin fond de l’Argentine. Plus il va s’enfoncer dans la nature, plus Vargas va retrouver des instincts primitifs d’homme des bois. Il vole du miel dans une ruche en faisant du feu pour faire fuir les abeilles, tue et dépèce méthodiquement une chèvre, se défait progressivement de ses vêtements, boit et se lave avec l’eau boueuse du fleuve. Il contemple la nature et sa liberté retrouvée, sans exprimer une once de joie. Les dialogues déjà peu nombreux, se tiennent au strict nécessaire, en témoigne l’échange entre Vargas et un pêcheur de la région, dont les réponses ne seront que binaire, « oui » ou « non ». Il va jusqu’à refuser de parler, lorsque le pêcheur le questionne sur le meurtre de ses deux frères, on ne pense plus à ce qui est passé. Cet évènement passé devient un non-évènement puisqu’à aucun moment, le film ne cherche à l’élucider.


Le personnage de Vargas est à rapprocher de Misael, le bûcheron du précédent film de Lisandro Alonso, qui était également enfermé dans sa solitude, reclus/exclus (?) du monde. Vargas retrouve le campement de sa fille qui a maintenant deux enfants. La découverte de ses petits-enfants ne suscite chez lui aucune émotion, il reste inexpressif. L’ironie du film est que le but initial de Vargas, revoir sa fille ne sera jamais accompli, puisqu’elle est absente. Impassible, il attend, assis sur un tronc d’arbre devant la tente, pendant que les enfants sont à l’intérieur. Le temps s’écoule, Vargas se lève soudainement et rentre précipitamment dans la tente. Un long plan bascule du tronc d’arbre où il était assis au sol poussiéreux, où gît un jouet d’enfant. Le film s’arrête ici et nous renvoi à la scène inaugurale. Là aussi un long plan dans la forêt, la caméra s’attarde sur la végétation, les arbres environnants jusqu’à laisser deviner la présence de deux corps d’enfants mutilés. Une ombre armée d’une machette plane sur eux. Était-ce le meurtre de ses deux frères par Vargas ou une prémonition ?


La mise en scène soustractive de Lisandro Alonso, composé de long plan, s’intéresse notamment à la dimension du hors-champ. Bien souvent, Vargas est dans le cadre, au milieu de la végétation vaquant à ses occupations, et la caméra panote vers l’ailleurs pour ensuite revenir vers le corps. Il y a une notion d’attraction/distanciation qui conduit le récit. Cette dynamique champ/hors-champ crée une indécision, Vargas souhaite retrouver sa fille, mais dans quel but ? C’est là toute l’intelligence d’Alonso, de part sa propension à dilater le temps, il s’intéresse spécifiquement au présent, le passé de Vargas tout comme son futur ne l’intéresse pas, seul ce qui se déroule sous nos yeux compte.

Mr__Brown
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le 18 févr. 2022

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Mr__Brown

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