Disney n’a décidément pas de chance. Après le flop de John Carter l’année dernière, The Lone Ranger n’a convaincu ni la presse américaine (Rolling Stone publiant un « Si vous vous attendez au pire, vous êtes en deçà de la réalité »), ni le public aux yeux des recettes annonçant un chiffre inférieure à 50 millions de dollars pour le premier week-end de sa sortie en salle au début du mois de juillet.


Ce que l’on sait moins de par nos contrées, c’est que The Lone Ranger fête ces 80 ans avec ce long-métrage de Gore Verbinski. Ce justicier mixant Robin des bois et Zorro commence ces aventures à la radio en 1933 et l’Amérique s’attache très rapidement à ce héros évoluant dans l’ouest sauvage. Ce personnage deviendra tellement populaire qu’il aura le droit à sa série télévisé en 1949 et se classe très rapidement dans les shows TV les plus regardés aux Etats-Unis.


Le série évoluera sans cesse au fil des ans, jusqu’à changer de ton pour renouveler l’univers et le personnage afin de ne pas lasser les auditeurs et les spectateurs. La première adaptation cinématographique sort en 1981 et c’est malheureusement un cuisant échec (décidément !) car l’acteur principal n’a pas l’étoffe du héros tant admiré par les américains. En 2003, rebelote : Warner produit un pilote de deux heures qui ne convainc personne car les scénaristes ont pris beaucoup trop de liberté pour insuffler de l’inédit (le héros ne s’appelle plus Reid mais Hartman !!!).


En 2006, sur le tournage du deuxième épisode de Pirates des Caraïbes, les scénaristes de la franchise Ted Elliott et Terry Rossio approchent Gore Verbinski (réalisateur des trois premiers) et lui font part de leur envie de développer un film autour du Lone Ranger. Après les avoir écouté, le cinéaste demande un temps de réflexion pour savoir comment moderniser le personnage. Voulant faire une version très différente de l’esprit original de la série en développant surtout le personnage de Tonto, Gore Verbinski parle à Johnny Depp des idées qu’il a eut en songeant au film inachevé de Terry Gilliam, The man who killed Don Quichotte, dans lequel l’acteur devait incarner un homme du XXème siècle projeté dans le passé au coté de Don Quichotte. En bref, ça parle plus que ça n’agit …


Il faut attendre 2010 avant qu’une version soit présentée à Gore Verbinski, juste après le tournage de Rango. Mais n’étant pas satisfait du scénario développé par Elliott et Rossio car Tonto restait encore et toujours le faire-valoir du héros, le cinéaste engage le scénariste Justin Haythe (Les noces rebelles, Infiltré) pour écrire un nouveau script à la fois centré sur le récit des débuts du Lone Ranger et laissant une place importante au personnage de Tonto. Une année s’écoule et le tournage du film peut enfin commencer (1) …


En cet été 2013, le film sort enfin sur les écrans ! N’étant ni américain et ne connaissant absolument rien des aventures de ce Lone Ranger, on peut dire que nous, français (ou ‘non-américains’), sommes plutôt à même de regarder ce film sans a priori en le prenant pour ce qu’il est, c’est à dire un simple divertissement. De plus, sachant que Gore Verbinski était aux manettes de ce projet me rassurait car ses blockbusters sont, je trouve, toujours de très bonne facture. Il m’avait en tout cas beaucoup surpris avec son dernier film Rango, un excellent film d’animation plus subtil qu’il n’y paraissait dont le décor était aussi un western.


A première vue, je suis plutôt surpris que le film n’est pas eut de succès aux Etats-Unis car The Lone Ranger est, avouons le, un blockbuster intelligent et singulier qui s’éloigne vraiment du formatage des productions américaines actuelles. On sait aussi comment peuvent réagir les fans de la première heure hyper exigeants devant l’adaptation de leur héros mythique âgé de 80 ans … Mais si le long métrage aligne de belles et incroyables séquences aussi jouissives qu’impressionnantes, il faut reconnaître que le film souffre de deux gros défauts qui parasitent un peu trop l’aventure de nos deux héros !


Armie Hammer, qui incarne John Reid / Lone Ranger, est le premier gros problème. Il ne possède malheureusement aucun charisme, et l’acteur ne s’accapare absolument pas toute la complexité du personnage. S’il s’applique avec rigueur de jouer le gentil et intègre avocat au début du métrage, dès qu’il franchit le seuil de la mort pour revenir venger celle de son frère, il reste le même du début à la fin et ne semble pas être habité physiquement et psychologiquement par sa vengeance.


Affichant un capital sympathie certes tout juste tolérable, l’acteur n’incarne absolument pas toutes les facettes du héros sombre et torturé en proie aux doutes et à ses démons intérieurs : bien qu’il veuille venger la mort de son frère, le Lone Ranger a toujours autant de mal à utiliser un pistolet. L’avocat qu’il était ne se transforme jamais en justicier vengeur tourmenté, mais on sent pourtant qu’à l’écriture le travail est effectué en amont. Ce n’est malheureusement que dans les phases de comédie qu’il se montre assez convaincant.


Autre problème : l’humour occupe une place beaucoup trop importante dans cette histoire de vengeance. Alors qu’on assiste à quelques scènes de violences plutôt saisissantes (sans trop d’effusions de sang), The Lone Ranger ne doit surtout pas oublier qu’il est aussi produit par le géant Disney … Ainsi, on a le droit toutes les dix minutes à des gags pas toujours hilarants qui ont tendance à plomber l’ambiance crépusculaire du film.


Le soin apporté aux enjeux dramatiques sont donc sans arrêt parasités par des scènes comiques clairement pas le bienvenue qui alourdissent sans arrêts la dimension épique et intimiste du film. Car The Lone Ranger, sur le papier, est avant tout un film de vengeance et d’aventure, l’humour doit donc être extrêmement bien dosé et surtout, bien écrite, pour ne pas briser l’attractivité du récit …. étrangement, c’est le cheval qui possède son lot de gags les plus réussis.


Mais malgré ses défauts, je dois bien avouer avoir pris beaucoup de plaisir à regarder ce blockbuster estival aux multiples facettes. J’ai apprécié le rythme et le montage du récit, parsemé à la fois de scènes profondément mystiques et poétiques au service de l’imaginaire amérindien (l’évasion de Tonto quand il se retrouve en prison), ainsi qu’aux scènes de fusillades particulièrement efficaces. Et si par moment il y a quelques longueurs, on s’ennuie finalement très peu car Gore Verbinski prend grand soin de son histoire et de ses deux protagonistes. La direction artistique est également au top : les décors, les costumes et les maquillages sont impeccables, si bien que la narration s’écoule le plus naturellement du monde au sein de cette reconstitution.


Tonto est sans aucun doute le personnage le mieux écrit et le mieux interprété. S’il évoque Jack Sparrow (Pirates des Caraïbes) par son accoutrement et ses mimiques aussi bizarres qu’outrancières, Johnny Depp est très éloigné du stéréotype de l’indien et confère beaucoup de magnétisme à son double. Il s’efface littéralement sous les traits de Tonto et quand on découvre son histoire personnel vers le milieu du film, elle fait passer le traumatisme du Lone Ranger au second plan ! Un comble !


A propos du personnage, Johnny Depp déclara dans une interview « avoir toujours été perturbé par la manière dont Tonto, le fidèle ami du héros, était dépeint. Enfant, j’étais étonné qu’il soit toujours considéré comme le faire-valoir du héros. Je ne comprenais pas pourquoi on lui ordonnait de faire des choses alors que c’est lui qui aurait dû être le héros ». Tout est dit !! Tonto est clairement LE véritable héros du film !


….. est-ce cela qui a déplu aux américains ??


Ce qui est vraiment plaisant et qui était pourtant à redouter, c’est qu’il n’y a pas trop de grosses scènes d’actions ultra spectaculaires et démesurées comme le présageait la bande annonce, et c’est tant mieux (Disney est ironiquement responsable de ce choix, car pour accepter le financement du film qui était initialement prévu à 260 millions de dollars, la firme a amputer la production d’environ 50 millions pour donner son feu vert !). Juste ce qu’il faut dans la scène finale qui n’est pas sans évoquer Le temple maudit de Steven Spielberg avec cette course de trains sur deux voies et ses multiples interactions. Un hommage ? Certainement ! Le film en regorge. On songe d’ailleurs autant à Princess Bride pour le récit raconté en flashback à l’enfant par le vieux Tonto qui ouvre et ferme le récit, qu’à Il était une fois dans l’ouest pour l’attaque de la ferme.


Mais demeure une petite frustration quand tombe le générique. Il est vraiment dommage que The Lone Ranger n’ait pas osé aller encore plus loin dans le surréalisme et dans sa mise en scène ! Si le ton du film trouve un bon équilibre entre l’aventure, le drame et l’action – l’ambiance du film est d’ailleurs plutôt sombre (la photographie très contrastée de Bojan Bazelli ne tente jamais d’explorer des couleurs plus vives et chatoyantes, pour les scènes d’intérieures comme la maison close par exemple), j’aurais aimé voir plus de folie et d’imagination à l’écran pour assumer le partis pris trans-genre du film ! Une proposition de cinéma à la fois baroque et opératique, suggérant un univers fantasmatique encore plus radical, lui aurait vraiment donné plus de cachet, une identité propre, une âme !


Mais il faut reconnaître que The Lone Ranger est un spectacle réellement réjouissant car il regorge d’éléments foisonnants toujours bien exploités qui laisse la part belle aux seconds rôles. Notamment un détonnant cheval qui monopolise vraiment l’attention car il sauve la vie de Tonto et du Lone Ranger à de nombreuses reprises. A la fois surpuissant, infatigable, surprenant, énigmatique et drôle, c’est un personnage à part entière encore plus déconcertant que Tonto. Sa présence apporte une incroyable fantaisie à l’ensemble du métrage !


Sans oublier l’irrésistible William Fichtner (tout le monde connaît le visage de cet acteur mais on ne sait jamais dans quel film on a bien pu le voir !) qui compose encore une fois une parfaite crapule, d’excellents figurants qui ne polluent pas trop le récit et la relation de nos deux héros, mais surtout une très bonne vision de l’ouest américain avec tous ses représentants : des américains, certes (armée, hommes d’affaire, hommes de loi, religieux, prostituées, etc), mais aussi des chinois et des indiens. Il y a un véritable effort effectué de la part des scénaristes pour illustrer ces classes sociales et ces ethnies qui ont très clairement façonné la culture et l’histoire américaine.


Avec le recul, les personnages féminins auraient certainement mérité un meilleur traitement tant les actrices se montrent convaincantes dans leurs rôles respectifs. Dirigeante d’une maison close, Helena Bonham Carter, alias Red Harrington, offre une prestation solennelle et virulente digne de son talent. Avec sa fausse jambe en ivoire qui cache deux secrets, ce personnage austère et taciturne n’apparaît grand maximum que quatre fois à l’écran. Elle n’est clairement pas assez exploitée, même si elle a son rôle à jouer dans l’histoire.


Ruth Wilson, que je découvre pour la première fois dans ce film, incarne un personnage fonctionnel sans trop d’envergure et frise la caricature dans sa caractérisation. Cette actrice anglaise s’est fait remarquer en 2006 dans la mini-série Jane Eyre, diffusée sur la chaîne BBC. On n’a pu également l’apercevoir dans le récent Anna Karenine de Joe Wright sortie en 2012. Dans The Lone Ranger, son rôle de Rebecca Reid, la femme de Dan Reid, frère défunt du héros, manque de consistance et d’épaisseur lors de ses apparitions. Dans les westerns traditionnels, les rôles féminins ont souvent été sous exploité, et ce film n’échappe malheureusement pas à la règle.


C’est assez regrettable car Ruth Wilson offre beaucoup de son énergie à son personnage, même dans ses quelques scènes d’actions. De plus, sa plastique gracieuse et bucolique, sa belle chevelure ondulée, ainsi que son doux regard azuré à la fois perçant, profond et hypnotique ajoute à n’en point douter au charme du film, si bien qu’on aurait aimé la voir plus souvent …


Pour conclure, The Lone Ranger reste avant tout un bel hommage au western avec ses codes, sa mythologie, son iconographie et ses magnifiques paysages de l’ouest sauvage. Si l’on s’en tient à ce cahier des charges, le spectacle vaut vraiment le détour. La touche excentrique parvient même à renouveler le genre et l’histoire du film a le mérite d’épouser la grande Histoire du pays.


Autre fait important : le grand méchant est un américain blanc avide, roublard et sans pitié qui a fait fortune d’une manière pas très catholique. Si ce personnage fini par payer de ses crimes (normal, on est dans un divertissement américain produit par Disney !), il est plutôt agréable d’assister à un blockbuster dont le final, la morale n’érige pas une idéologie conservatrice et réactionnaire, mais reste en phase avec son histoire réelle.


….. est-ce cela qui a déplu aux américains ??




(1) Source : interview de Gore Verbinski dans L’écran fantastique N° 344

Mathieu_Babhop
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le 19 août 2016

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