Comment oublier jamais quelqu'un qu'on aime depuis toujours ?

      20h22. Figé sur le sombre fauteuil d'une salle de cinéma qui s'éclaire progressivement, j'émerge d'un moment hors du temps, où s'est succédé tout un kaléidoscope de personnages hauts en couleur, où les couleurs criardes des années pleines d'espoir que furent les 70s attaquèrent doucement mes fragiles yeux ; j'en émerge le cœur serré, mais aussi débordant d'une joie qui veut se déverser furieusement sur tout ce qui l'entoure, c'est étrange. Peut être suis-je en fait jaloux des ces deux êtres unis éternellement par la magie du générique qui ne nous dit jamais ce qu'il adviendra de ces deux personnages qui ne peuvent continuer à vivre que dans notre imagination, moi qui n'ait personne assis à mes côtés. 

Mais en me levant religieusement, tremblant d'émotion, la joie et l'espoir l'emportent. Comment expliquer qu'un tel film, au synopsis si convenu, ait produit en moi une impression si forte, parvenant à éclairer des rayons de la joie les cavernes les plus sombres de mon âme ?


Les premières minutes de film passent, et l'on se trouve en effet bien face à une romance dont on croit déjà connaître toutes les ficelles. On sourit. On tape du pied sur les musiques des Doors, on bouge la tête mélancoliquement sur le Life on Mars de Bowie. On trouve la réalisation de Paul Thomas Anderson maîtrisée de bout en bout, comme toujours avec ce réalisateurs tyrannique, qui parvient à la manière de Quentin Tarantino à reconstituer face à nos yeux le Los Angeles des années 70 de manière magistrale, y insufflant une vie débordante et une vérité désarmante, tant on sent l'amour qu'il porte à cette chaude ville, qu'il porte à cette époque où tout semblait encore possible, où un simple adolescent peut mener sa propre entreprise de vente de matelas à eaux.
Puis, subrepticement, on est happé par cette peinture mouvante, par cette histoire simple, qui, nous ayant fait baisser notre garde, peut ainsi mieux s'emparer de notre cœur.


Et comment en effet ne pas être conquis par ce lien si fort qui unit rapidement les deux protagonistes principaux, Gary et Alana, par cette histoire d'un garçon de 15 ans pour qui rien ne semble acquis qui s'amourache pour une femme de 10 ans son aînée, respectivement interprétés par Cooper Hoffman, digne héritier de son défunt père, et la magistrale Alana Haim ?


Pourtant, au départ, cela ne semblait encore pas gagné d'avance. Le visage et l'attitude du jeune Gary ne me reviennent pas, le comportement incompréhensible d'Alana me déroute. Puis je distingue dans leurs traits une sincérité, une beauté qui ne me quitte pas, rendant insupportables les scènes où ils n'apparaissent pas ensemble. J'aime Gary, même dans ses instants de grande puérilité, j'aime ces regards pleins de tendresses qu'il n'hésite pas à jeter à celle qu'il considère déjà comme la femme de sa vie. J'aime Alana, belle dans son naturel, sans artifices, et ces hésitations entre cette bande de "gamins" et des préoccupations plus matures, plus engagées de femme de 25 ans. Et ce n'est que lorsqu'ils sont réunis, que l'on comprend à quel point ces deux êtres sont faits pour n'être qu'un, leurs dialogues étant d'une justesse sans pareil. L'amour n'a définitivement pas d'âge.


Mention spéciale à la scène de l'appel téléphonique silencieux que passe Gary à Alana. L'absence de parole : Gary, si triste, ne peut même pas parler, et laisse le silence parler à sa place.


Manquer de leurs présences comme eux languissent secrètement l'un de l'autre.
L'évolution de leur amour est menée d'une main de maître. Simple mais efficace.


Et autour de ces deux amoureux, c'est une fresque délirante de situations qui nous est présentée, dans laquelle interviennent des personnages parfois comiques - comme les apparitions d'un Bradley Cooper ultra violent délicieusement jouissives - parfois plus profonds, malgré leur trop faible développement qui est à déplorer. Ainsi, un des personnages cache son homosexualité, véritable baron de Charlus moderne (cf. A la recherche du temps perdu, Marcel Proust), et fait souffrir son amant pour lequel on éprouve une instantanée tendresse.


Oui, c'est définitivement un film dans la lignée de son Magnolia, plein d'une infinie bienveillance pour tous ces destins que l'on ne fait que croiser. C'est un film plein d'espoir, m'ayant presque donné, le temps d'un instant, le courage d'affronter mon destin et de moi aussi tenter ma chance à la manière de Gary.


Mais voilà, les lumières s'allument et il faut déjà revenir à la réalité.


Vivez, aimez, espérez !


Adieu Gary, Adieu Alana

louihendrixx
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le 6 janv. 2022

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louihendrixx

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