Le poids de la société et de la vodka.

On aura préféré voir Léviathan récompensé par le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes. Car en effet ce n'est pas par son scénario que Léviathan marque les esprits.
Léviathan a le courage de nous présenter la Russie telle que nous l'imaginons parfois. Des paysages sublimes, immaculés ouvrent et ferment le film dans des séquences éblouissantes et paralysantes bercées par la magnifique musique de Philip Glass.
Zviaguintsev (dont je ne connais pas l'oeuvre, et donc ne pouvant comparer ce film à ses précésents) nous offre une tranche de vie ratée qui aurait put rester immaculée. Le destin chavire du jour au lendemain, une simple histoire de destitution de terrain par l'Etat se transforme en réglement de compte d'une froideur et d'une violence forte. Les personnages, même si l'on ne connait rien d'eux, sont très finement travaillés. Les acteurs, même si l'on peut relever quelques faiblesses dans le jeu de certains (la femme du héros est d'une nonchalance - surement volontaire - qui frôle le désintéret...), jouent très justement leurs rôles (mention spéciale au personnage principal et à son jeune fils qui livre une performance éblouissante.).
Malgré son scénario dramatique qui fait de Léviathan un drame pur et dur, il résulte néanmoins une certaine drôlerie, poussée au burlesque parfois, qui allège le tout et le rend plus humain. En résulte des scènes d'un humour vulgaire qui nous touche tous (fou rire des personnages lorsque l'un d'eux va aux toilettes) ou d'un humour noir ravageur (les personnages tirent à la carabine sur les portraits des anciens dirigeants de l'URSS) qui font rire franchement. Des personnages aussi sombres que le maire se révèlent caricaturés (scènes burlesques quasi théâtrale) , souvent sous l'effet de la vodka, qui semble religion en Russie.
Le film est pourtant traversé par un athéisme et une critique brute de la Russie. Des longues scènes autour du pope jusqu'au dénouement final, tout révèle l'athéisme du réalisateur. Le portrait de Poutine dans un coin de mur n'est d'ailleurs pas mis au hasard au dessus du bureau du maire véreux...
Mais le film marque surtout par sa mise en scène ultra photographique qui magnifie chaque image. Que ce soit les paysages, les lumières, les intérieurs, tout est beau et froid. Résulte une ambiance très mystérieuse, quasi mystique et angoissante qui traverse le film du début à la fin. L'histoire (aussi passionnante soit - elle) ne serait donc qu'une excuse pour tenter de traiter le mythe du Léviathan ?

Léviathan, derrière ses aspects de drame pur et dur, se révèle être une critique viscérale de la Russie, de son gouvernement, de sa religion, merveilleusement mise en scène, tout aussi drôle qu'angoissante.
Une réussite totale.

Créée

le 21 oct. 2014

Critique lue 331 fois

Charles Dubois

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