Difficile exercice que se passionner pour un biopic d'artiste dont on a aucune idée de l’œuvre. C'est pourtant ce qu'il se passe avec ce Leto qui raconte, sur une courte unité de temps (les étés 1981 et 1982), la rencontre amicale, artistique, rivale et amoureuse de Mike Naumenko, précurseur bien installé du rock à Leningrad, de sa femme Natasha et du très jeune Viktor Tsoi, auteur prometteur en train de fonder le culte Kino.
Pour raconter cette projection fantasmée et assumée comme telle, Serebrennikov développe un univers concis et cohérent, extrêmement esthétisé avec une photo noir&blanc et un éclairage très clair sublime. La plongée dans cet underground pétersbourgeois se fait souvent par des plans-séquences décrivant les salles de concerts d’État, les fêtes vaguement clandestines et les appartements collectifs qu'occupaient ces micro-stars sans le sou.
Tout ça est assez brillant, ponctué de personnages-concepts comme le punk, chargé d'illustrer la révolte, les excès et la folie d'une jeunesse rock qui n'auraient pas pu vraiment s'exprimer sous le joug soviétique ou le sceptique qui vient fréquemment casser le quatrième mur et rappeler au spectateur que la réalité était bien moins glorieuse et spectaculaire que le film. Le procédé est aussi honnête... que facile, et Serebrennikov s'appuie un peu trop dessus pour se dédouaner. Il y a également ces séquences clippés réinterprétant des classiques new wave US ( The Passenger, Call Me, Psycho Killer) dans des contextes spécifiquement soviétiques, comme rappel métaphorique du décalage immense entre ce que cette génération avait dans l'oreille et le cœur, et là où elle vivait.
En plus de sa beauté plastique, de l'illustration historique de la Perestroïka et de ses chansons, Leto est une histoire de passage de témoin désabusé, mêlée à un triangle amoureux plein de tendresse. Mike est un artiste rustre et un peu copieur, coincé entre son complexe vis-à-vis des anglo-saxons et son statut de parrain de la scène locale. Le propos le plus intéressant de ce film est bien de le voir se faire complétement déborder par le talent créatif et la capacité de séduction de Viktor, artiste et humain difficile à détester et qu'il se résout progressivement à accompagner vers une gloire qu'il n'aura jamais... jusqu'à accepter l'idylle entre Natasha et lui.
Leto est un bel objet donc, très dépaysant de part la bulle spatio-temporelle qu'il propose. Mais c'est la beauté de l'arc de Mike Naumenko, celui du mâle alpha qui accepte de se mettre en retrait et de devenir avant tout un passeur, qui est époustouflante et que l'on retiendra absolument de ce film.