Ce film est un film d'acteur, c'est à dire taillé pour Depardieu, et ne laisse sa part à presque personne d'autre (Fanny Ardant, Benoit Poelvoorde sont écrasés par l'ogre du cinéma français). On voit Depardieu en lui-même : Depardieu à la plage, Depardieu en vacances, Depardieu au restaurant ; on voit surtout Depardieu acteur, monstre sacré du cinéma français qui contemple sa longue carrière et sa célébrité, fait le bilan, juge et se fait juger. Il boit même des vodka, allusion à sa nouvelle vie russe...

Malade et sur le déclin, Depardieu se confronte à ses propres abus, de boissons, de moeurs, de frasques. Il a peur, de la solitude et de la mort. Alors, il renonce à se soigner, à quitter la scène, car la quitter c'est mourir. Il boit, il mange, il jouit. Tout est vrai d'une certaine façon dans ce film testamentaire, bien qu'il épouse l'ambiance Simenon des années 70. Depardieu fait le bilan, assène des punchlines cinglantes ("tu veux savoir mon âge ? Est-ce que je te demande si t'es gros ?"), pique des colères, écumant de son ombre les bistrots guindés de la capitale. Le voilà abusé par un jeune homme qui se prétend son fils et qu'il rabroue sans pitié. Il courre aussi après les femmes de sa vie, contemplant sa splendide solitude. Un soir, il oublie sa réplique. Il va alors au restaurant et récite tout le menu devant les clients, profusion de viande et de mets distingués, poétique tout française du foi de veau ou de la terrine de saumon. Le film est traversé de ces scènes poétiques et drôles, bien qu'étant crépusculaire et mélancolique.

Un autre soir, il se voit mourir, fait un malaise cardiaque. Alors il raccroche, se réfugie dans sa propriété aux volets verts dans le sud et se fait attendre dans la capitale. Il s'entiche d'une jeune collaboratrice, dans une relation platonique et lui offre tout pour elle et sa fille. Il manque. Il se fait désirer. Derrière l'ogre, il y a de la tendresse, celle d'un grand-père, d'un homme mûr, qui a beaucoup vécu, et dont il reste un peu d'élégance sous le verni vulgaire. Son ami Poelvoorde vient le voir, ils vont à la pêche, Depardieu, jouisseur, accumule les prises, Poelvoorde, parisien, ne sait pas s'y prendre. Ils passent un bon moment dans une scène très drôle.

Le film est ainsi une sucession de scènes réflexives, contemplatives. Il n'y a pas de fil narratif autre que celui d'un acteur en bout de course. On est dans le descriptif, plus que dans l'action.

Depardieu hésite à revenir, mais n'en aura plus le temps. Il a quitté la scène, il doit mourir ; c'est le lot de tous les acteurs. On sait que cela arrivera à Depardieu, un jour où l'autre et en se mettant lui-même en scène, il nous dit qu'il est prêt. En attendant, on savoure l'immense acteur qu'il est encore, sa présence imposante et magnétique, sa fragilité aussi, ses AVC, ses infarctus, son obésité, sa respiration difficile, en un mot, humaniser le monstre ; même les monstres sacrés finissent par mourir.

Tom_Ab
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le 13 sept. 2022

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