Volker Schöndorff et Margarethe von Trotta sont deux cinéastes allemands dont les films s'ancrent dans les soubresauts politiques de leur pays d'origine tout en élargissant en permanence leur objet à ce qui nous concerne tous, que nous soyons français, italien, espagnol ou belge. Ils sont de ce fait, à mes yeux en tout cas, les plus européens des cinéastes.

Pour toute une génération ils sont l'un comme l'autre des réalisateurs qui ont mis au cœur de leurs arguments filmés à la fois l'Histoire la plus contemporaine et celle qui la sous-tend et l'explique en partie.

Les trois vies de Rita Vogt de Volker Schöndorff raconte une vie allemande des années 70 du siècle dernier à la chute du mur de Berlin à l'automne 89. Les années de plomb ont oblitéré la vie politique allemande comme celle de l'Italie avec des queues de comète en France et en Belgique. De la Fraction Armée Rouge en Allemagne, des Brigades Rouges de la péninsule italienne aux squelettiques Cellules Communistes Combattantes de Belgique et l'embryonnaire Action directe française, ce sont les mêmes théories qui ont cours, traduites par la lutte d'une minorité se voulant avant-gardiste qui a pris les armes contre un système et pour mettre fin au capitalisme dominant ainsi qu'à l'impérialisme qui en serait le corollaire.

Rita Vogt, une vie en trois vies jusqu'à sa mort violente sous le feu de la police commune naissante d'une Allemagne en voie de réunification. Sa première vie est celle d'une jeune femme en rupture politique qui participe à des braquages-expropriations pour financer une cause sur un front qui s'étend de l'Allemagne au Proche-Orient et qui rêvera même plus tard de porter le fer et le feu au Mozambique et en Angola encore colonies portugaises.

Le film de Volker Schöndorff s'étend principalement sur les deux vies suivantes de Rita Vogt devenue Suzanna Schmidt, puis Sabine Walter. La République Démocratique Allemande (RDA, DDR en allemand ou encore Allemagne de l'Est par opposition à celle de l'Ouest) offre le gîte et le couvert aux terroristes du voisin ennemi et facilite leur transit par Berlin lors de leurs allers et retours entre Beyrouth et les métropoles allemandes.

C'est donc tout naturellement qu'ils y trouveront refuge quand toutes les polices seront à leurs trousses. Toutes les polices européennes les rechercheront, mais ils sont sous la protection de la Stasi (Staatssicherheit- Sureté d'Etat) à l'insu cependant du grand frère, le KGB soviétique.

Rita et sa camarade de combat Friederika choisissent de déposer les armes et de demander l'asile en RDA. Elles deviennent des clandestines dans leur refuge pour éviter l'extradition et vivent désormais sous des identités nouvelles, avec un travail ordinaire, un logement social et une vie banale à l'instar des autres allemands de l'Est. Ce sera la seconde vie de Rita Vogt.

Si le rideau de fer et le mur de Berlin séparent les deux Allemagnes, faisant de sa partie sous domination communiste simultanément un ghetto et un sanctuaire, les ondes de la radio et de la télévision ne connaissent aucune frontière et le signalement des membres de la " bande à Baader" est largement diffusé avec toutes les précisions morphologiques et les signes particuliers permettant de les reconnaître et de les identifier.

Rita Vogt/Suzanna Schmidt porte une cicatrice au coude et c'est cela qui la fait identifier par une collègue de travail qui la dénonce aussitôt, ignorant que les autorités du pays connaissent son existence. Il n'en faut pas plus pour que Rita/Suzanna soit exfitrée, déménagée, relogée, réemployée et « relégendée ». Sabine Walter sera le nom de sa troisième vie et sa dernière profession sera organisatrice de séjours de loisirs sur les bords de la Baltique pour enfants de travailleurs méritants.

C'est sous cette dernière identité que Rita connaît toutes les désillusions et l'épilogue de sa vie. Elle rencontre brièvement Friederike également « sous légende », elle est amoureuse d'un étudiant est-allemand, communiste orthodoxe convaincu en partance pour Moscou. Quand elle lui révèle qui elle est en réalité, ce dernier s'enfuit et Rita est cruellement renvoyée à elle-même et à son passé qui n'a en réalité aucun droit de cité dans sa patrie d'adoption.

Quand le mur de Berlin tombe, que la Stasi est désarmée, dépouillée de ses archives et réduite à néant, Suzanna/Sabine redevient Rita Vogt, terroriste de « la bande Baader-Meinhof »*, recherchée pour le meurtre d'un policier français à Paris et complice d'autres homicides et vols à main armée. Le piège se referme inexorablement sur les derniers rescapés d'une époque révolue dont Rita Vogt est une des dernières survivantes.

* Les groupes militants, qui avaient fait le choix de prendre les armes et d'opter pour la violence extrême en se livrant à des exécutions sommaires, s'étaient donnés des noms parfois pompeux comme Rote Armée Fraktion ( Fraction armée rouge). L'appelation « la bande à Baader » n'est jamais utilisée dans le film de Volker Schöndorff. Cette appelation, qui se voulait infamante et stigmatisante, était bel et bien employée à l'époque par les média. Elle est celle martelée sans cesse par la police et la presse.

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le 28 juin 2023

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