Qu'est-ce que c'est bien de faire cette rétrospective intégrale Ceylan. Je n'avais pas du tout aimé Les Trois Singes en salle, et je ne l'avais jamais revu depuis. Eh bien j'ai découvert ici un film beau et profond, qui m'a beaucoup ému. L'histoire est on ne peut plus simple, je vais d'ailleurs la raconter jusqu'au bout, libre à vous de lire ou pas. Un homme politique turc tue un homme accidentellement en l'écrasant de nuit sur une route déserte. Sa voiture est identifiée par une autre qui passe quelques instants après. Il convainc son chauffeur habituel (qui n'était pas dans la voiture) de dire que c'était lui qui conduisait, contre un dédommagement financier. Le chauffeur a un fils, jeune adulte, et celui-ci découvre, pendant l'emprisonnement de son père, que l'homme politique en question couche avec sa mère. Quand l'homme sort de prison, il le comprend lui aussi. Et puis, l'homme politique est tué. Et le père finit par comprendre que c'est son fils qui est responsable de ce meurtre. Le film s'achève alors, sans qu'on voit le fils se faire arrêter même si on le devine.
Je n'aime pas trop l'image du film, elle est beaucoup trop contrastée, les noirs sont saturées, et elle est symptomatique d'une mode des années 2000 qui a fort heureusement disparue. D'ailleurs le visionnage en bluray est problématique, car cette image sursaturée entraine un défaut visuel qui quadrille complètement l'aspect visuel, c'est surtout visible dans les scènes d'obscurité, mais pas seulement, on a l'impression qu'une légère grille est posée sur l'image, j'aimerais bien savoir ce qui techniquement provoque cet effet. Bref, ça n'empêche pas d'apprécier le film, voire de le redécouvrir puisque ça a été véritablement mon cas hier soir. Sur un canevas une fois encore très simple, sans en dire beaucoup, le film n'est pas bavard, Ceylan installe un climat extrêmement précis et réussi basé sur les comportements entre ses personnages, sur les non-dits, fait de tensions et de violences sourdes. J'ai été très touché par l'ensemble, et particulièrement bouleversé par les rares séquences oniriques où apparait le fils mort jeune, dont il n'est quasiment jamais fait mention. On voit le père et le fils aller sur sa tombe lorsque le père sort de prison, mais il n'apparait sinon que deux fois, une silhouette d'enfant s'approche de l'autre fils, qui dort, et il lui dit "mon frère", et une autre fois alors que le père est allongé seul dans son lit, et qu'il a découvert que sa femme le trompait, on voit une main d'enfant qui surgit de derrière et qui vient l'enlacer pour le consoler. Ces deux moments sont bouleversants aux larmes, alors que les scènes oniriques de ce genre sont particulièrement délicates et difficiles à traiter.
Alors qui sont ces trois singes ? Sans doute les trois membres de cette famille, avec le fils qui sait mais qui refuse de parler, le père qui se doute mais qui refuse d'entendre, et la mère qui refuse de voir que sa famille s'écroule. Mais les rôles peuvent être redistribués dans un autre ordre, ce que semble dire Ceylan, c'est que le fait de ne pas vouloir parler, voir, entendre, mène fatalement une famille au drame.

FrankyFockers
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le 17 févr. 2021

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