C’est à la suite d’un voyage autour du monde durant lequel il s’inquiète des effets de la crise économique de 1929 que Charlie Chaplin écrit le scénario des « Temps modernes ».Après avoir rédigé une version définitive de son scénario, d’abord intitulé "Les masses",Chaplin commence un tournage marathon le 11 octobre 1931 dont le dernier tour de manivelle aura lieu le 30 août 1935. La première projection mondiale est organisée au Rivoli Theater de New York le 5 février 1936. S’ensuivirent alors trois grandes projections, respectivement à Londres, Hollywood et Paris. Malheureusement, le film reçoit un accueil mitigé, une partie de la presse reprochant à Chaplin une tentative de propagande des idéologies communistes.


Dès le générique, Chaplin affiche ses ambitions, non pas de construire un film consacré uniquement à Charlot mais de réaliser une satire prenant pour cible le modèle social américain. Ainsi le personnage qu’il interprète est-il un « factory worker » (un ouvrier d’usine) autrement dit un rouage auquel on a retiré toute forme d’humanité. Chaplin filme les hommes allant chercher un travail à l’usine comme les vulgaires moutons d’un immense troupeau. Ces premières images plantent le décor : les nouvelles aventures de Charlot seront fortement ancrées socialement avec une ambition politique, résumée dès les premières images, évoquant "Un récit sur l’industrie, l’initiative individuelle et la croisade de l’humanité à la recherche du bonheur", ce qui ne sera pas du goût de tout le monde.

Chaplin montre également les conséquences du travail à la chaîne sur la santé des ouvriers. Devenu fou, Charlot ne cesse de vouloir serrer des boulons, que ce soit ceux des pièces qu’il fabrique ou les boutons de la « grosse femme » qu’il croise dans la rue. Il finit par être interné dans un hôpital psychiatrique. Chaplin aborde ensuite les thèmes du chômage et de la pauvreté. « Le chômage est la question vitale. L’humanité devrait profiter de la machine. La machine ne devrait pas signifier la tragédie et la mise au chômage » - confiera Chaplin à une journaliste. ( "Charlot entre rire et larmes" de David Robinson.)

En effet, Charlot ne garde jamais très longtemps son travail. Il enchaîne les petits boulots : ouvrier dans un chantier naval, gardien de nuit ou serveur. Il n’est pas le seul personnage à souffrir de la crise. Dans le magasin, où il a été engagé comme veilleur de nuit, Charlot retrouve Big Bill, son camarade de l’usine, devenu voleur après la perte de son emploi. De même, la Gamine, dont le père est au chômage, vole des bananes et du pain pour nourrir sa famille. Le père meurt d’ailleurs tragiquement lors d’une manifestation. Charlot et elle rêvent d’une vie bourgeoise et sécurisante où le mari partirait le matin au travail et où la femme s’occuperait de la maison. Dans leur masure, la Gamine tente de mettre en scène cette vie rêvée en préparant un « festin » composé d’un sandwich et d’une boîte de conserve.

Le monde extérieur est si hostile que Charlot, emprisonné à plusieurs reprises, préfère rester enfermé pour s’assurer le gîte et le couvert. L’omniprésence de la police est un autre thème récurrent. Charlot, avec ou sans la Gamine, se fait arrêter cinq fois. Ces arrestations, avec la sirène qui retentit et le véhicule de police qui emmène Charlot, ponctuent le film et marquent symboliquement la fin d’une étape. Après l’espoir d’une vie meilleure, tout doit être reconstruit. La police, qui représente l’état, ne se manifeste que par son caractère répressif. Mais l’espoir n’abandonne jamais les deux héros convaincus qu’un jour ils trouveront enfin la sérénité et surtout que leur amour est leur rempart contre le malheur.

Les temps modernes est, selon moi, un chef-d’œuvre absolu, l’œuvre d’un génie unique dans l’histoire du 7e Art, ce que l’on a fait de mieux dans la critique d’une modernité qui parvient à déshumaniser l’homme. Le rire le dispute à l’émotion toujours présente d’un Charlot qui sait les manier comme nul autre. Son comique n’a jamais été surpassé et semble défier le temps parce qu’il touche chacun de nous en nos points les plus sensibles et que la dérision y est en permanence une soupape sécuritaire. A côté de Chaplin infiniment touchant, il y a Paulette Goddard, la gamine, belle comme le jour, pleine de charme et insubmersible tellement la vie en elle est ardente et fraîche. Le couple qu’elle forme avec Charlot est l’un des plus marquants du cinéma et leurs silhouettes, s’éloignant sur la route du destin, n’ont cessé d’habiter l'imaginaire depuis plus de 70 ans.
abarguillet
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le 29 déc. 2013

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