Willi Keun est un petit chef, dans tous les sens du terme, membre de la SS et préposé aux commémorations subalternes. Personnage médiocre qui ne doit son poste qu'à son dévouement sans limites au parti qui l'a fait et qu'il aime représenter aux comices agricoles et fêtes de la moisson. Il en pince pour la serveuse de la brasserie de la bourgade, qu'il rejoint dès qu'il peut pour quelques galipettes alcoolisées auxquelles le prestige de l'uniforme le laisse prétendre.


Ce soir-là, la serveuse va se faire étrangler, sans raison particulière, par Bruno Lübke, un client de l'établissement, qui a profité de la bousculade pendant une alerte aérienne pour se dissimuler dans la brasserie et la guetter. Le corps est découvert dès la fin de l'alerte et Willi Keun, passablement ivre dans la pièce voisine, est immédiatement désigné comme l'auteur du meurtre.


Bruno Lübke est un valet de ferme des environs, illettré et souvent imbibé de schnaps, cet alcool blanc issu de la distillation de fruits fermentés très en vogue dans les campagnes avant que des alcools plus exotiques ne le remplacent. Bruno Lübke est un simplet, répertorié comme tel, connu des services de police pour commettre régulièrement des petits larcins.


La police criminelle locale est chargée de l'enquête sur le meurtre et Keun est désigné comme le coupable malgré ses dénégations. Puisqu'il est un membre de la SS, le Gruppenführer de cet organisme politico-policier est aussitôt informé et le présumé coupable est remis au service disciplinaire de la Waffen SS. Le grain de sable de la procédure viendra du rapport d'autopsie par le médecin légiste. Il fait état d'une fracture de l'os hyoïde que seules une poigne forte et une force musculaire importante peuvent briser. Cela disqualifie Keun car il lui manque un pouce sectionné autrefois par un trait de scie malencontreux.


Axel Kersten est un nouveau venu au commissariat, officier démobilisé du front de l'Est pour blessure de guerre et affecté à la Gestapo ; il a demandé sa mutation dans la police judiciaire qui est son corps d'origine. Il mène la contre-enquête sur le meurtre de la serveuse et par rapprochement avec d'autres affaires et recoupements divers, innocente de fait Keun. Il finit par identifier Lübke comme un tueur en série qu'on ne désignait pas encore sous ce vocable à l'époque.


Son rapport sera rapidement entre les mains de l'officier supérieur SS qui a ses informateurs dans la police criminelle. Il convoque manu militari l'inspecteur Kersten, la formule n'étant pas ici une simple clause de style. Quand la SS veut entendre quelqu'un, elle envoie une voiture avec un chauffeur à la mine patibulaire et un messager porteur d'une invitation comminatoire. Le non initié peut avoir quelques difficultés à faire toute la différence entre ce type d'invitation et un enlèvement ou une arrestation. Une ambiance qui fait que l'invité répond toujours avec empressement à ce genre de sollicitation de la Sureté de l'Etat.


Le général fait comprendre à l'inspecteur Kersten que cette affaire est en passe de devenir une affaire d'Etat de la plus haute importance et qu'il convient donc de la traiter avec toute la délicatesse voulue. Si lui-même a encouragé la recherche du vrai coupable, espérant voir surgir un étranger ou mieux encore un juif dans ce rôle, il s'est accommodé de la découverte d'un simple idiot, alcoolique et dégénéré, il a vu en cela la possibilité de vendre aux plus hautes instances de l'Ordre Noir un bon prétexte à une loi eugénique pour sauvegarder et protéger la race allemande. Mais le Führer, dûment informé, s'est mis dans une fureur apocalyptique et voit désormais la question sous un angle différent.


Il est inconcevable qu'un dégénéré à l'intelligence limitée ait pu tenir en échec la meilleure police du monde pendant des années, en assassinant des dizaines de femmes, en usant toujours du même étranglement. Il en va de la confiance de la population dans sa police et dans la sécurité que le régime lui a promise. Lübke n'existe pas, n'a jamais existé et son nom ne doit plus jamais être prononcé.


En désespoir de cause, Axel Kersten demande une entrevue au président du tribunal qui a condamné à mort Willi Keun et lui remet son dossier d'enquête. Le président du tribunal ne peut plus rien faire mais, dans l'ombre, la SS veille et n'est pas inactive. Keun est sorti de sa cellule et échappe à la mort par pendaison, mais il aurait cherché à s'enfuir et ses gardiens ont été contraints de l'abattre. Axel Kersten est réaffecté dans une unité combattante et regagne le front de l'Est. Il aura ainsi tout loisir de réfléchir à la nouvelle politique allemande qu'il ne semblait pas avoir bien assimilée.


La Nuit quand le diable venait ou Les SS frappent la nuit de Robert Siodmak* est un film allemand sorti sur les écrans en 1957. Il fait partie des films qui sont sortis dans l'Allemagne d'après guerre et dont le public visé était exclusivement autochtone. A côté d'un cinéma de distraction, il y avait ces films dont le but était de permettre à une population encore profondément traumatisée par le nazisme et la défaite de se reconstruire une identité. Tous les fonctionnaires de police allemands n'étaient pas des gestapistes et ils n'étaient donc pas tous mauvais. Beaucoup d'entre eux, tout en courbant l'échine, essayaient de sauver ce qui restait du droit et de la justice, parfois en prenant des risques importants. Tout comme beaucoup d'allemands qui subissaient comme eux.


Ce film part d'un fait divers pour montrer ce que la société allemande conservait de positif et de sain, en particulier ces fonctionnaires dont Conrad Adenauer avait besoin pour reconstruire un appareil d'Etat et des institutions démocratiques. D'autres films mettront en scène la Wehrmacht à travers des officiers, des sous-officiers ou de simples soldats, ces hommes dont Konrad Adenauer avait besoin pour reconstruire la Bundeswehr.


A la même époque, la France était confrontée à cette même crise d'identité. Le général De Gaule a accrédité l'idée d'une France résistante tout en ménageant les moins compromis des fonctionnaires du régime de Vichy et cela avec la bénédiction du Parti communiste qui avait également quelque chose à faire oublier.



  • Robert Siodmak est un réalisateur, producteur de cinéma mais également scénariste et acteur lui-même allemand. Il est né dans une famille d'origine juive à Dresde. En 1933, il réalise un premier film d'après une nouvelle de Stephan Zweig qui sera interdit par les nazis qui venaient d'arriver au pouvoir. Siodmak prend le chemin de l'exil, d'abord à Paris où il réalise plusieurs films puis aux Etats-Unis suite aux menaces que fait peser le régime de Vichy sur les juifs-allemands. Il reviendra en Allemagne en 1951 en cinéaste confirmé et apportera sa pierre à l'édification d'une Allemagne démocratique.

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le 23 avr. 2020

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