Elles sont jeunes, belles et libres, aiment danser, chanter et rire ensemble, et voilà qui suffit bien à croire qu’elles sont sorcières, pratiquant le sabbat dans la forêt, la nuit au clair de lune. Elles auront bon s’en défendre, le nier, ne pas comprendre même, elles auront bon dire et faire, face aux représentants de Dieu et autres juges de moralité, ce sont des sorcières. De "mauvais anges" qu’il faut brûler, et brûler vif. C’est de la chasse aux sorcières menée dans le Labourd, en 1609 pendant plusieurs mois, par Pierre de Rosteguy de Lancre sur ordre du roi Henri IV, que Pablo Agüero s’est inspiré ici pour raconter le destin soudain entravé, et funeste, de six jeunes filles emprisonnées et accusées de sorcellerie sur simple présomption. Pour quelques rumeurs.


Marqué également par la lecture de La sorcière de Jules Michelet, Agüero tenait à montrer "ce regard, à la fois fasciné et effrayé, par lequel les hommes de pouvoir enferment les femmes dans une image fantasmatique pour mieux les contrôler, les diaboliser, les nier". Et à dénoncer tout fanatisme religieux et ses inévitables dérives, en premier lieu sur les femmes, mais aussi sur les individus (dénonciation rattrapée aujourd’hui par une actualité plus qu’inquiétante). D’autant que le film ne statuera jamais sur la question qui pourrait paraître essentielle (ces jeunes filles sont-elles vraiment des sorcières ?), préférant mettre à mal, en y exposant contradictions morales et institutionnelles, une terrifiante mécanique d’oppression qui a su s’étatiser et perdurer.


Pour cela, Agüero oppose la parole (et l’art de la séduction) d’Ana, l’une des six jeunes filles condamnées, aux certitudes des hommes, et ce jusque dans leur chair, surtout chez de Lancre, percevant Ana comme un soudain objet de désir dont il n’arrive à se détourner et qui va l’obséder. Parole biaisée puisque Ana décide de "rentrer dans le jeu" des hommes en se faisant passer pour ce qu’ils veulent (une sorcière donc), et racontant ce qu’ils veulent bien entendre (le déroulement précis d’un sabbat). L’enjeu étant de retarder la mise au bûcher jusqu’au retour des hommes du village, partis en mer pour plusieurs jours et aptes à les sauver.


On regrettera toutefois que cette confrontation, celle de la puissance évocatrice du verbe (Ana) aux injonctions d’une croyance dévoyée (de Lancre), soit finalement un rien expédiée, réduite à peu sur l’ensemble d’un film qui, au demeurant, sait rester toujours captivant, alors qu’elle constituait un passionnant terrain de jeu narratif où pouvait s’exprimer toute l’absurdité d’un système de domination passant et par une dialectique piégée, et une fiction envisagée comme seule arme de défense. Comme si Agüero était pressé de nous montrer son beau final, révolte "endiablée" du corps et de l’esprit autour des flammes, et fugue vers la liberté dans un dernier et secret envol.


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mymp
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le 1 sept. 2021

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