De la valeur des choses qui n'ont pas de prix.

Passées les résistances dues aux décennies qui nous séparent de la réalisation de l'oeuvre et les décalages techniques mais aussi rythmiques qu'elles induisent, on prend en plein visage la profusion de sens qu'elle contient. Autant de plans où bien peu de choses sont laissées au hasard, autant de musiques et autant de silences qui chaque fois tombent juste...


La musique justement m'a, la première, fait entrer dans le propos. Elle est fondue dans l'image d'une façon qu'on ne retrouve plus, il me semble, dans le cinéma d'aujourd'hui. Elle suscite en tout cas des sensations totalement différentes, et par là même elle induit un autre genre d'émotions.
L'expérience vaut déjà les 3 heures et plus qu'on passe devant l'écran.


Mais l'intérêt du film est loin de se limiter à ce premier point :
Le jeu des acteurs (mention spéciale au vieux bonze et à Kikuchiyo) nous gratifie d'une sensation assez proche. Si dans un premier temps, j'ai pu être perplexe quant à cet étrange façon de faire, force est de reconnaître que passée la première heure du film, j'adhérais fondamentalement à tout (ou presque) ce que cette bande d'étranges bonshommes me proposait. Tout simplement parce que là aussi, ça fait toujours sens, et de manière si frappante que les questionnements s'imposent dans l'instant et pas seulement une fois le générique affiché comme c'est souvent le cas.


Pour en finir sur cette revue non exhaustive des aspects matériels du film, j'ai fini par réellement apprécier ce qui peut-être me rebutait le plus au début du visionnage : le montage. Les plans taillent dans le brut sans se permettre le confort indigeste de noirs trop conséquents et bien que les transitions soient souvent inexistantes, le rythme de l'ensemble colle en fait à merveille (et on pouvait s'en douter dans le fond) avec l'ambiance et notamment la musique : Les plans traînent en longueur, c'est volontaire et au final c'est non-seulement plaisant mais nécessaire.


Somme toute, mon seul regret réside peut-être dans le fait que le noir et blanc ne rend pas justice à la probable magnificence des décors mais, en contre-partie, l'effort d'imagination que cela entraîne ne pourra qu'être bénéfique..


J'en viens à ce qu'il y a de plus marquant à mon sens et dont j'ai déjà parlé plus haut : L'abondance de propos remarquables que portent le film au travers des images, des sons et de tout ce qui le compose en réalité.


Le film semble chercher dans un premier temps à démystifier la figure du samouraï. C'est du moins le ressenti d'un féru de culture nipponne. Mais on comprend vite que c'est inexact, en fait il travaille bien plus à l'humaniser, rendant d'autant plus étourdissante la conception de ce que pouvaient être ces hommes-là. Et je crois que le propos central du film n'est plus très loin : l'Humanisme. La notion d'héroïsme est questionnée dans ce qu'elle a de plus fondamental puisqu'elle est sans cesse rapportée à la condition humaine. En clair : ça travaille aux tripes à grands coups de peur, d'égoïsme, d'envie, d'égocentrisme...
Pour autant, et c'est vraiment là que le film me plaît, je ne l'ai jamais trouvé méprisant envers la nature humaine, au contraire il m'a paru complètement empreint de bienveillance à son égard (on rejoint le propos humaniste). Je crois que Kurosawa est un type qui a la foi, et ça ça me plaît.


Le film a aussi le don de remettre à l'endroit le système de valeur humain. Et pour le coup je me demande à quel point ce n'est pas encore plus vrai de nos jours !
Pour exemple, la scène de Manzo pleurant la virginité de sa fille est proprement affolante, j'en ai encore mal au ventre une heure après. C'est douloureux mais on dit merci.
De manière générale, il émane de ses personnages centraux une sorte de légèreté (le rire a une place prépondérante tout du long), un détachement du superflu (biens matériels, conventions sociales...) qui laisse deviner une conscience profonde de ce qui est essentiel.
Cette idée de la valeur supérieur de l'immatériel sur le matériel, qui résonne pleinement avec la spiritualité qui imprègne la culture de l'Archipel (d'ailleurs on est forcément renvoyé aux romans d'Eiji Yoshikawa pour ceux qui les ont lus), est présente tout du long, notamment au travers des dilemmes auxquels les villageois sont confrontés.


Pour conclure, ce film est une sorte de concentré de ce que notre époque piétine sans sourciller. Ce qui pourtant est sans doute l'arme la plus efficace contre le misérabilisme ambiant et la souffrance de l'être : La spiritualité (au sens premier).
Si vous êtes un tant soit peu sensible à ce principe là, et même si de fait ça risque de faire un peu mal : regardez-le !
Sinon, il vaut sans doute mieux passer votre chemin. (Et revenir quand vous aurez pigé 2/3 trucs ?)


Cordialement, et en noir et blanc.

Aphasic
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le 16 août 2015

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Aphasic

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