Finalement, il se pourrait bien que réussir l’un de ces fameux films que l’on qualifiait le siècle dernier de « cinéma du milieu », c’est-à-dire n’étant ni vraiment du cinéma populaire (au sens un peu méprisant du terme), ni totalement du cinéma d’auteur, soit devenu quasiment impossible : l’héritage de François Truffaut, directement invoqué dans Les rois de la piste par la présence lumineuse, mais certainement envahissante, de Fanny Ardant, est bien mal en point, et le clivage entre ce que le grand public plébiscite et ce que les cinéphiles attendent n’est pas prêt d’être comblé.

Thierry Klifa est le représentant, pas toujours heureux dans ses films, d’une certaine « qualité française », que l’on peut qualifier de « traditionnelle » sans que ce soit une insulte. Il a cette fois visé un genre de film, basé sur un scénario qui se veut malin (attention au twist final !) et sur des performances d’acteurs réputés auxquels il demande d’osciller entre drame psychologique et fantaisie burlesque, dans lequel un Pierre Salvadori, par exemple, s’est illustré avec un certain brio… Ou, plus récemment, un Louis Garrel inspiré a réalisé un Innocent de bonne facture. Malheureusement, même si le programme des Rois de la piste est clair, l’objectif désiré est loin d’être atteint, et le spectateur soit s’ennuiera un peu, soit devra avaler bien des couleuvres pour passer outre un scénario capillotracté, tout ça pour quelques jolis moments d’émotion (oui, il y en a, mais c’est souvent grâce à Fanny Ardant) et quelques plus rares sourires (merci à Vuillermoz, toujours royal dans son genre…).

Les rois de la piste raconte les conflits entre les membres d’une famille de petits escrocs, conduite par une grand-mère qui cumule les tares classiques de la « mère juive » et les travers d’une Ma Dalton (nommément citée dans le film). A cause d’un cambriolage qui tourne mal, son petit-fils se retrouve en prison, tandis que l’un de ses fils disparaît avec le butin, et que l’autre sombre dans la dépression. Trois ans après les faits, tout le monde se retrouve dans une petite ville côtière du Cotentin pour laver leur linge sale, tout en étant traqués par une paire de détectives acharnés mais pas très professionnels. On imagine très bien ce que ce genre de point de départ peut donner : des engueulades familiales, des histoires d’amour absurdes et impossibles, et un McGuffin – ici un tableau de Tamara Lempicka, femme à la mandoline – justifiant l’aspect « policier » de l’histoire. Et Klifa nous offre exactement ce que l’on imaginait, ce qui n’est pas très excitant. Un scénario laborieux, des rapports faux entre les personnages, des acteurs régulièrement en difficulté (Kassovitz est mauvais dans un registre comique qui ne lui convient pas), et les quasi deux heures du film nous paraissent bien longues, jusqu’à un final niais et ridicule, bien raté.

Curieusement, c’est dans ce qu’il a de plus opportuniste par rapport aux sujets à la mode, la célébration de la fluidité des genres et de la transsexualité, que Les rois de la piste nous touche le plus : grâce à un Duvauchelle excellent en chanteuse inspirée redonnant vie aux soirées d’un petit village normand, il y a au moins dans le film de Klifa une très belle scène, dont on se souviendra après être sorti de la salle. Tout n’était donc pas perdu !

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/03/18/les-rois-de-la-piste-de-thierry-klifa-cambriolages-et-embrouilles-familiales/

EricDebarnot
6
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le 21 mars 2024

Critique lue 178 fois

Eric BBYoda

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