Mon titre est à l’image de ce que montre le film. Tout dépend selon quel point de vue on se place et le réalisateur, le belge Benoît Mariage (pour son troisième long métrage), le fait bien sentir. En cela il est bien aidé par Benoît Poelvoorde qui réussit encore une fois à composer un personnage (José) qui permet au film de fonctionner. Un personnage crédible aussi bien dans ses convictions, sa connaissance du milieu où il évolue (le football professionnel), que dans ses outrances.


José est un agent de joueurs. Une fois par mois, il vient en Afrique pour prospecter dans les clubs locaux à la recherche de nouveaux talents. Le film le montre en Côte d’Ivoire, pays francophone. José se comporte en homme blanc qui a de l’argent dans un pays à population noire où beaucoup vivent de peu. José sait ce qu’il veut (dès sa sortie de l’aéroport où il a repéré une jeune douanière à son goût, il tâte le terrain par quelques coups d’oeil). Il sait également que tous les jeunes talents rêvent de jouer la « Champion’s league » pour des clubs comme Arsenal. Et si on observe un maillot emblématique de ce club, le réalisateur montre aussi un avion de la compagnie aérienne dont le nom et le logo sont associés dans les esprits à ce maillot. Le clin d’œil est discret mais révélateur. Comme d’autres, les jeunes africains sont fascinés par les grands clubs mais aussi par les marques (voir la scène avec la distribution de chaussures). Ils aspirent à la gloire et espèrent l’argent des contrats. Avec cet argent, ils peuvent faire vivre leurs familles en Afrique. Pour cela, ils sont prêts à des sacrifices disproportionnés. Alors, même si on peut considérer le comportement de José comme celui d’un néo-colonialiste, c’est surtout celui d’un maquignon qui aime venir en Afrique car il y mène la belle vie. Ceci dit, il aurait tendance à perdre la main, et s’il ne trouve pas une nouvelle perle noire, il risque de dire adieu à l’Afrique. Il pourrait finir sa carrière à visiter les petits clubs belges, discuter dans des bars enfumés devant des bières avec des pères méfiants dont les fils rêvent également de grandes finales.


Pour les amateurs de soirées avec pelouses bien vertes, projecteurs et ballons envoyés d’une frappe sèche dans la lucarne du but adverse, ce film n’est pas pour vous : une seule séquence lors d’un match de Ligue 1 Belge, avec un but montré par une caméra au niveau du sol fixée sur le jeune Yaya Koné (Marc Zinga).


A son arrivée en Côte d’Ivoire, José est reçu par un dignitaire local auquel il croit pouvoir parler en toute honnêteté pour asseoir son statut d’expert en questions footballistiques. Le dirigeant (politique, pas sportif) est derrière son bureau. Cet homme ayant le pouvoir, on le laisse jouer comme un enfant. Satisfait de son manège, il écoute José qui croit astucieux d’affirmer qu’aucune équipe africaine ne gagnera jamais la coupe du monde. Pour étayer son propos, il évoque le match d’ouverture de la coupe du monde 2002, un certain Sénégal-France de triste mémoire. Très beau match selon lui, qui a vu une équipe africaine se permettre de battre le champion en titre ! Oui mais, qu’ont-ils faits les joueurs sénégalais après la victoire ? Je vous laisse imaginer. Et José se montre tel qu’il est, poursuivant son raisonnement sans se rendre compte qu’il provoque son interlocuteur…


Plus tard, José vient observer des jeunes lors d’un match d’entraînement sur un terrain en sable. On attend du jeu mais on n’y voit rien que de la baballe. Déçu, José leur demande un véritable engagement. Arrive alors un autre jeune qui demande à jouer. Mais les autres ne veulent pas de lui. José cherche à comprendre, il demande s’ils le connaissent, regardant les uns et les autres. Le seul qui avoue savoir qui c’est le dit avec un certain mépris. Pour tous les autres, c’est connais pas. Bref, le nouveau se fait refouler sans qu’on sache exactement pourquoi. Sauf que José l’observe se hisser par-dessus le mur d’enceinte avec force, souplesse et légèreté. L’attention éveillée, José se renseigne discrètement pour savoir où il joue d’habitude. Yaya Koné travaille la journée, joue au foot le soir et dors à la belle étoile.


José fait la différence entre un gamin présenté par son père et qui sait jongler avec le ballon (comme une otarie dressée) et Yaya qui sort un coup du sombrero sur un terrain vague, de nuit, pour mettre tous ses adversaires dans le vent et marquer en toute décontraction dans un but vide. A 19 ans, Yaya est mûr pour faire les beaux jours d’un grand club.


Après quelques péripéties, Yaya découvrira la réalité du football belge en hiver. Il devra faire avec les habitudes d’un milieu où chacun doit se faire sa place et où on discute pas mal en coulisses. Certains diront que pour gagner des titres, si des éléphants peuvent renverser des montagnes, faut des Drogba, Pelé, Gervinho, faut pas des Koné…


En évoquant le milieu très mondialisé du football professionnel, Benoît Mariage fait sentir l’état des relations Nord-Sud. Car si l’ambition des jeunes prodiges du foot est plus ou moins exploitée par les clubs qui manipulent de fortes sommes d’argent et évaluent leurs intérêts, le film montre également comment des européens ayant de l’argent sont considérés lorsqu’ils sont en Afrique. Là, ce sont les relations hommes/femmes qui sont un véritable enjeu. Les femmes ont de sérieux atouts et ne se gênent pas pour les faire valoir.


Le vrai défaut du film, c’est sans doute son affiche qui laisse imaginer une comédie sans prétention, alors que l’aspect social prend finalement le dessus. On n’atteint pas les sommets d’un France-Brésil 1998, mais voilà un « petit » film (80 minutes) qui mériterait de trouver son public.

Electron
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le 12 févr. 2014

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