La sentence funèbre de la prophétie des Quatre cavaliers de l'apocalypse est tombée


Et je regardai, et je vis paraître un cheval de couleur pâle ; et celui qui était monté dessus se nommait la Mort, et l'Enfer le suivait ; et le pouvoir leur fut donné sur la quatrième partie de la terre, pour faire mourir les hommes par l'épée, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre.



Les Quatre cavaliers de l'apocalypse réalisé par Vincente Minnelli est un puissant film de guerre dramatique qui se différencie de ses pairs de par les messages forts qu'il dresse à travers un récit atypique et original. Une histoire passionnante véhiculant de forts sentiments antiguerre via des commentaires brillamment approfondis ainsi que des dialogues percutants, le tout agrémenté par des sous intrigues intenses réalisé de main de maître par un cinéaste habile et réfléchi. Une proposition intimiste sur la Seconde Guerre mondiale qui délaisse l'action du front au profit d'une tragédie intérieure autour de la destruction de toute une famille divisée par la guerre. Un film rare qui accomplit une prouesse cinématographique qui gagne en gravité et en épaisseur à mesure que l'intrigue avance. Un drame humain que Minnelli dépeint avec un talent considérable puisqu'il dissèque sans tomber dans la caricature les affres de la guerre à travers une réalité dérangeante qui défie le simplisme idéologique, puisqu'il est question d'un homme riche privilégié par son statut vivant avec insouciance sa vie au milieu d'une désolation dont il semble se désintéresser totalement. Seulement, malgré la condition sociale aisée, à un moment donné on ne peut plus fuir ni ignorer la portée d'une guerre mondiale puisque fatalement elle finira par affecter toutes les castes sociales de par les abominations qui en découlent. Chacun doit choisir son camp.


Le récit commence très fort lors d'un diner rassemblant toute une famille avec à sa tête le patriarche, Julio Madariaga (Lee J. Cobb), qui trois décennies plus tôt a fui sa terre natale d'Espagne pour s'installer en Argentine pour y élever sa famille loin de tous les ressentiments et les dangers de la guerre, créant ainsi un cadre de vie idyllique isolé de tous les maux du monde afin de pouvoir vivre dans l'insouciance. Une conduite noble qui lui aura permis d'élever toute sa famille dans la richesse, l'amour, la joie et le détachement de toutes choses extérieures au cercle. Seulement, s'isoler en fermant les yeux à tous les problèmes du monde ne les empêche nullement de se déporter à vous, et ce sont ses petits-enfants devenus des adultes qui vont en faire les frais. Si Julio Desnoyers (Glenn Ford) suit dignement le cadre de vie insouciant de son grand-père, son cousin Heinrich von Hartrott (Karlheinz Bohm) ne veut pas s'exclure du conflit engagé par Adolf Hitler, voulant se joindre à son armée en tant que haut gradé nazi avec l'accord de sa mère, ainsi que de son père, et de son petit frère qui se sont également engagés sous les ordres du Reich. Une décision dramatique qui va bouleverser la famille Madariaga et qui foudroiera sur place d'une crise cardiaque le patriarche Julio qui avant de rendre son dernier souffle profèrera une funeste prédiction sur les Quatre cavaliers de l'apocalypse, qui en conséquence des actes insensés de prendre part à la guerre, viendront réduire à néant l'entièreté de la famille. Une scène d'introduction admirablement bien orchestrée qui pose formidablement les enjeux du récit.


La mise en scène de Vincente Minnelli est remarquable, continuellement en mouvance, alternant tout du long une forme théâtrale avec une autre plus réaliste, à travers une finesse d'expressionnisme rendant le mélange subtilement digeste. Un cinéma-vérité qui n'épargne personne et glace le sang dans sa résultante qui trouve un équilibre passionnant entre une histoire d'amour et un film de guerre déchirant qui resserre les enjeux dramatiques par le biais d'un enchaînement d'actes saisissants qui induit toute la complexité humaine. La photographie est remarquable, agrémentée de superbes décors qui viennent appuyer habilement la réalisation qui retranscrit avec perfection le climat austère de la guerre ainsi que l'état mental des gens de la haute société face à elle. Des plans somptueux au service du dramatisme appuyé d'un montage redoutable qui s'illustre irréprochablement, surtout durant la séquence finale qui prend à l'estomac. Une maîtrise technique subjuguante au service d'un scénario qui pose magistralement des enjeux qui dépassent le simple patriotisme, soulevant par là même de nombreuses questions sur le rôle de chacun dans une telle confrontation. La partition musicale d'André Previn est géniale. Un travail musical considérable qui se traduit comme une magnifique épopée qui bonifie les séquences à travers des notes qui restent en tête même après le générique de fin.


Le casting est exceptionnel. Glenn Ford en tant que Julio Desnoyers est formidable. Le comédien s'avère être un véritable atout pour cette oeuvre en parvenant à faire ressortir l'égoïsme qui l'anime, ne voulant se mêler à aucun conflit pensant avant tout à sa petite personne. Il ne porte aucune attention aux maux extérieurs dus à l'invasion Allemande, allant jusqu'à tomber amoureux d'une femme mariée, Marguerite Laurier (Ingrid Thulin), qu'il tentera de séduire à tout prix. Un personnage principal désintéressé qui amène un véritable contraste qui vous retourne de par son attitude et qui dans la continuité va subir une véritable évolution, autre que patriotique, qui le conduira à s'émanciper de sa propre condition directement héritée de son défunt grand-père pour enfin prendre part à la guerre et ne plus fuir ses responsabilités. La romance qui le lie à Marguerite Laurier est très appréciable car présentée avec une maturité totalement bienvenue qui va faire évoluer l'attitude de Julio. Le traitement dramatique entre Julio et l'ensemble de sa famille est bouleversant, en particulier la relation qui le lie à sa petite soeur Chi Chi (Yvette Mimieux), ainsi qu'à son père Marcelo Desnoyers (Charles Boyer). Des échanges complexes et puissants qui seront à l'origine des moments les plus éprouvants de l'intrigue. Un Glenn Ford décisif qui propose une de ses meilleures performances.


Ingrid Thulin en tant que "Marguerite", épouse d'un membre de la résistance française, livre une superbe performance. La comédienne renvoie parfaitement la réplique à Glenn Ford. Les deux comédiens forment un couple convaincant, l'une apportant à l'autre une maturité amoureuse. Yvette Mimieux alias "Chi Chi" la soeur de Julio, est un personnage intense qui malgré le peu de temps à l'écran parvient à transmettre une force de conviction perceptible. Charles Boyer en tant que père usé de Julio et de Chi Chi est excellent, il tente tout du long de sauver ses enfants du mouvement nazi et de la funeste prédiction proférée par le patriarche "Julio Madariaga". Lee J. Cobb qui en tant que Julio Madariaga livre une prestation qui peut sembler exagérée, mais qui colle parfaitement avec le fait qu'il est un homme bouleversé par les choix de ralliement au mouvement nazi de sa famille qu'il a pourtant élevé hors de tout conflit. Karlheinz Bohm en tant que Heinrich von Hartrott l'antagoniste principal à l'origine du basculement de sa famille est intelligemment présenté. Un personnage loin d'être caricatural qui rejoint le camp nazi par embrigadement de conviction stupide et non parce qu'il est un gros méchant pas gentil. Cela ajoute plus de crédibilité à ce personnage ainsi qu'à la relation qu'il entretient avec toute sa famille. Paul Lukas en tant que Karl von Hartrott, l'autre père, tente également de préserver la vie de ses deux fils en optant pour la vie de soldat nazi, choix qui sera à l'origine de la perte de ses enfants, ainsi que de toute la famille. La sentence funèbre de la prophétie des Quatre cavaliers de l'apocalypse est tombée.


CONCLUSION :


Les Quatre cavaliers de l'apocalypse réalisé par Vincente Minnelli est un puissant film antiguerre intimiste dont on ressort abasourdi tant l'impact tragique qu'il suscite autour d'une famille argentine conduit à nous bouleverser. L'impact de la violence est ici idéologique à travers des personnages qu'on explore magistralement, Glenn Ford en tête. Un grand film qui livre une réalisation hors pair à travers un scénario d'une originalité épatante servi par un un casting surprenant aux performances incroyables. Un chef d'oeuvre !


Une relecture originale de la Seconde Guerre Mondiale qui mérite d'être classé parmi les meilleurs films du genre.



Il n'est pas jusqu'à l'Apocalypse finale que ce diable d'homme ne transforme en ballet de feu et de flammes. Ce n'est plus un bombardement, c'est un feu d'artifice.


B_Jérémy
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le 23 mai 2021

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