Les Petites Victoires par Freddy Klein

En apparence Les petites victoires, de Mélanie Auffret, est une comédie gentillette, délicatement franchouillarde avec ses personnages typés qui reconstituent une communauté villageoise bien de chez nous. Il y a le vieux garçon solitaire et acariâtre qui ronchonne, le jeune cadre qui sait tout et qui est prompt à dénoncer ce qui ne va pas, y compris à qui de droit ; il y a les veuves du lieu, illustration de la statistique de INED qui veut que la longévité des dames soit en moyenne supérieure à celle de leur mari ; il y a le fort en gueule qui perd les occasions de ne rien dire et il y a tous les autres qui siègent parfois au Conseil municipal ou constituent le choeur qui rythme toute vie dans une collectivité.

Il y a également tout ce qui manque de plus en plus cruellement dans beaucoup de nos villages. Qu'il s'agisse du médecin des familles qui n'a pas trouvé de remplaçant, du boulanger qui a fermé son échoppe ou du dernier café qui a définitivement mis au rancart sa tireuse de demis pression, la désertification est en marche.

Reste le cœur du réacteur : l'école et son institutrice. Quand l'institutrice est en même temps la maire élue des lieux, la bataille peut commencer sous les meilleurs auspices et l'Inspecteur de l'Education Nationale chargé de faire le décompte des effectifs de la dernière classe de l'école et éventuellement de demander sa fermeture n'a qu'à bien se tenir.

Emile, le ronchon, a un accident de la circulation avec un de ses concitoyens et refuse de remplir un constat à l'amiable d'abord parce qu' il n'a pas ses lunettes, ensuite parce que tout le monde l'em.....et qu'il en a par-dessus la tête. C'est un peu plus tard, derrière une porte, comme au confessionnal, qu'il avouera à Alice, l'institutrice et maire, qu'il est en fait illettré. Illettré et non pas analphabète, car il a fréquenté l'école en son jeune temps, mais lecture et écriture n'ont pas voulu entrer dans sa tête et sans doute que trop rapidement il a été décrété bête. L'effet pygmalion a fait le reste.

Comme il n'y a que le premier pas qui compte, une fois ce coming out fait, Emile se présente dès le lendemain à l'école avec son cartable pour rattraper le temps perdu. D'abord accepté du bout des lèvres par Alice, puis adopté par ses jeunes condisciples qui ressemblent étrangement aux écoliers qui peuplent la classe du Petit Nicolas de René Goscinny, Emile commence une nouvelle scolarité et fera même des progrès spectaculaires.

Parallèlement à cet épisode souriant, la boulangerie perdue rouvre ses portes sous la houlette des habitants, en dépôt de pain approvisionné par un boulanger de la commune voisine. Les villageois, qui ne manquent pas de suite dans les idées, ont tôt fait de trouver une solution pour disposer enfin d'un café, haut lieu de la vie sociale de tout village qui se respecte. En un tour de main et subrepticement, la station de vente de pain peut être transformée en tripot où la bière coule à flot au nez et à la barbe de la maréchaussée et de la maire.

Le café du village n'est pas que ce lieu de détente qui apaise les esprits, mais également le lieu d'incubation d'une stratégie pour contrecarrer les plans de fermeture de classe par l'Education Nationale et dont l'inspecteur dépêché est le triste instrument. Le plan est conçu en deux temps : renflouer les effectifs scolaires de la classe visée par un renfort venu d'une commune voisine au jour J, retarder le plus longtemps possible l'arrivée au village, puis à l'école, de l'inspecteur pour laisser au renfort le temps de s'installer et de prendre position.

La ruse des faux effectifs sera éventée, la classe supprimée, l'école par conséquent fermée et l'institutrice mutée. Elle s'achètera un vélo avec des sacoches et un sac de couchage, puis prendra la route pour un long périple qui la fera sans doute passer par l'Italie.

Désormais vous saurez que quand vous voyez une jeune femme sur un vélo à sacoches avec un matelas de mousse et un sac de couchage sur son porte-bagage, vous êtes en présence d'une institutrice ou professeur des Ecoles, comme on dit maintenant, dont la classe a été supprimée pour manque d'effectif. Vous ferez alors appel à tous ceux que vous pourrez rassembler pour lui faire une haie d'honneur et l'encourager sur son fier destrier.