Critique qui évoque la fin du film.


Les Misérables, uppercut français de l'année 2019, a tout de la mise en abîme autobiographique : réalisé par Ladj Ly, qui filmait dans sa jeunesse les bavures policières dans sa cité, il décide de passer le flambeau du témoignage à son propre fils, qui incarne, d'une certaine manière, son lui jeune placé de nos jours. La caméra d'enfance, remplacée par un drone qui offre mille possibilités de mise en scène et de narration, représente la seule manière qu'a la vérité d'éclore.


Il en profite même pour gratifier le spectateur de sublimes plans en vue aérienne, jusqu'à ce magnifique coucher de soleil sur les blocs de la cité; la mise en scène de sa caméra a également tout de planante lors des combats et des courses-poursuite, pour lesquels elle témoigne d'une liberté à toute épreuve. Speed, incontrôlable, elle suit ses personnages en matérialisant leur caractère et dévoile sans tabou les violences policières et de cité qui se déroulent sans qu'on n'aime plus les montrer.


La majeure partie de l'intrigue tient sur une bavure qui tourne mal et que le fils de Ladj Ly, au départ l'une des sources d'humour du film, tiendra en images, à l'image de ce que le réalisateur, très engagé depuis tout jeune, avait fait lorsqu'il était encore adolescent avec sa caméra, au point de faire mettre en examen, par une vidéo balancée sur le net, des policiers trop extrêmes, aux méthodes trop expéditives.


Seulement, ç'aurait été trop simple s'il avait décidé de faire un film anti-police, anti-ordre : loin de tout cela, ***Les Misérable***s est surtout un film patriote (en témoigne son impressionnante scène d'introduction, représentée de belle façon avec son affiche) qui demande des comptes à un état trop peu soucieux de ses souches populaires défavorisées que le réalisateur/scénariste nomme, non sans quelques références à l'auteur originel bien placées, Les Misérables.


Toute sa thématique tient à sa dernière phrase, ressentie, puisque couplée à cette fin terrible, comme un coup de poing dans la mâchoire : il n'y a pas, dans ce film, de bonne ou de mauvaise personne, seulement de mauvaises élites. Forces de la bac et jeunes de cité, dealers et Le Maire (encore qu'il rentre à moitié dans cette représentation) sont seulement des hommes qui tentent de survivre sans connaître trop de frasques, de bavures ou se faire exposer à l'extérieur.


La meilleure idée de Ly est surement d'avoir décidé de montrer, une fois la crise réglée, le quotidien de tous ces hommes, aucun n'étant en mesure de se douter, à l'issue de cette première journée, ce que leur réserve la suivante. Le meilleur dans l'histoire, c'est qu'il nous dévoile leur quotidien intime sans pour autant tomber dans les clichés, le pathos ou un larmoyant malvenus : l'un vit avec sa mère et s'écroule en rentrant, l'autre à peine débarqué dans la ville se couche au milieu des cartons, quand le dernier, plus extrême, qu'on jugeait inhumain, boit sa bière totalement dépassé, incapable de dialoguer avec ses gosses : il ramène son enfer chez lui, preuve qu'il est désormais beaucoup trop investi pour garder la tête hors de l'eau et faire son travail comme il l'entend.


La scène qui suit, préparatifs de la grande conclusion tant attendue de cette histoire qui ne pouvait bien finir (on le voulait, pourtant), tient d'ailleurs plus du fantasme d'Issa Perica, victime de la bavure qui subit une véritable traversée du désert, que d'une organisation de jeunes qui se révoltent et mettent le feu au poudre. Ce n'était après tout pas le but du réalisateur : s'il ne voulait pas envenimer les choses, c'est aussi parce qu'il désire s'attaquer aux hauts placés, à cette politique qui a abandonné ce qu'on qualifie de "quartiers chauds", qui les regarde au loin sans vouloir trop les apercevoir.


Politique qu'il ridiculise d'ailleurs par la caractérisation du personnage grotesque et ridicule du Maire, sorte de comic-releef de l'oeuvre. Toujours dépassé par les évènements, soit dans le je-m'en-foutisme soit dans l'agressivité, il témoigne d'une incapacité à assumer ses responsabilités, à faire les bons choix et à être honnêtes jurant cruellement avec son statut civil; sa fin, massacré par les jeunes de la cité, traîné de part en part dans les escaliers et fracassé par des barres en fer, témoigne justement de la volonté qu'à Ladj Ly de s'attaquer à la politique, aux dirigeants qui abandonnent leur propre peuple.


Son peuple, il le représente dignement, lui redonne ses lettres de noblesse en affichant autant le courage dont font preuve, à certains moments, les forces de police et du courage journalier de ces jeunes abandonnés, tombés dans la drogue ou le deal, dont les parents ne s'occupent jamais et qui doivent subir les réprimandes, les humiliations, suivre un code de vie précis pour s'intégrer à un microcosme nocif et possiblement risqué pour leur propre vie.


C'est aussi cela qu'il met en images dans sa révolte finale, sorte de cri désespéré balancé en direction des élites des banlieues, dealers et autres chefs de réseaux : en somme très utopiste, le mouvement organisé des gosses s'attaque tout aussi violemment aux dealers également indics qui ont aidé les policiers à régler l'histoire de la vidéo; la voiture explosée, ils les laissent tout de même s'échapper, mais le message est passé : la cité appartient à la génération jeune, et les règles vont changer.


Plus de magouilles, plus de drogue, plus de dirigeant incapable, mais surtout plus de violence policière injuste et excessive. C'est là que Les Misérables est le plus intéressant : dans l'attaque des trois policiers. Parqués dans un coin, à un étage cerné par deux escaliers remplis de chariots de courses et de fumigènes, ils se font littéralement attaquer de part en part, et c'est à ce moment que le nouveau, le brigadier Stéphane interprété par un Damien Bonnard qui manque parfois d'un peu de conviction, prouve son excellence et la pertinence de son choix de carrière.


Cela ne sera bien sûr que d'une utilité passagère, puisqu'ils crouleront très rapidement sous le nombre : les plus amochés, excellents Alex Manenti (il tient le film sur ses épaules) et Djebril Zonga, sont les flics installés depuis dix ans, ultraviolents, parfois injustes, aux méthodes expéditives témoignant moins de leur cruauté que du désabusement dont ils sont les victimes irrémédiables.


C'est alors qu'on comprend la pertinence du choix de ne pas montrer la fin de l'affrontement : déjà parce que la scène, où l'on place Issa en héros, confirme le fait que c'est bien un martyr; si elle a tout d'un rêve, c'est peut-être parce que c'est une vision fantasmée de la vie en cité, instant où le réel qu'Issa voudrait vivre épouse le propos du cinéma de Ladj Ly, donnant un résultat tendu, sous un stress permanent, puissant et juste envers les bons.


Il est donc logique que l'on ne voit pas Bonnard recevoir le cocktail Molotov qu'Issa tient dans ses mains : le réalisateur ne montre jamais le juste, quel qu'il soit, se faire punir. Cela n'allait pas commençait avec ce policier humain, compréhensif et désireux de faire bouger les choses; clairement écrit pour suivre lui aussi les pensées de son auteur, Ruiz, dit Pento, se retrouve en face-à-face avec la deuxième représentation du propos, Issa, jeune bon qui aura suivi les mauvais choix et subi les conséquences de ses actes (certes démesurées).


C'est là que le film se conclue, quand les deux se retrouvent enfin unis par la mise en scène du réalisateur : la boucle est bouclée, et il n'importe plus de savoir qui survivra, de savoir si c'est réalité ou fiction. L'important est de comprendre qu'avec ce film, Ladj Ly livre un témoignage romancé mais toujours réaliste de ce qu'il aura vécu dans sa jeunesse, et qui se répercute encore de nouveaux maintenant. Il l'aura dit en interview : "J'ai vécu cela en banlieue, et rien n'a changé depuis" : ni les violences intra-muros, ni l'insalubrité de constructions considérées comme fonctionnelles il y a quarante ans (et dont il filme avec grand talent la saleté constante), ni les injustices vécues d'un côté comme de l'autre.


Les Misérables, ou l'art de conduire un propos intelligent par une forme superbe.

Créée

le 12 déc. 2019

Critique lue 713 fois

2 j'aime

FloBerne

Écrit par

Critique lue 713 fois

2

D'autres avis sur Les Misérables

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

Les Misérables
guitt92
5

La haine c'était mieux avant

"Les misérables" est certes un constat d'urgence, un geste politique important qui mène à une conclusion pessimiste et sombre, beaucoup plus qu'il y a 25ans. OK. Mais je suis désolé, ce n'est pas du...

le 20 nov. 2019

124 j'aime

23

Les Misérables
Velvetman
7

La Haine

Ce n’est que le deuxième jour du Festival de Cannes 2019. Cependant, un souffle de fraîcheur surgit précocement. Les Misérables de Ladj Ly fait l’effet d’un immense coup de boutoir aussi rare que...

le 13 nov. 2019

88 j'aime

1

Du même critique

Les 4 Fantastiques
FloBerne
2

Des fois c'est dur d'être un geek... Putain mais quelle purge !!

Dans le ptit bled paumé où je passe le clair de mes vacances s'est proposée une expérience pas commune : voir le film "Les 4 Fantastiques" en avant première. Nourri d'espoirs et d'ambitions, je me...

le 4 août 2015

35 j'aime

42

Marvel's The Punisher
FloBerne
8

Miracle et drama

Saison 1 : 9/10. Au cinéma, nombre de personnages se sont fait massacrés pendant des décennies, sans vergogne ou une once de progrès. Les comics aussi ont été touchés par cette mode de la destruction...

le 13 déc. 2017

34 j'aime

4