Sept ans après Des hommes et des dieux, Xavier Beauvois revient avec Les Gardiennes, une grande fresque humaniste. Il situe son intrigue en plein cœur de la Première Guerre mondiale et s’intéresse aux sorts des femmes qui attendaient le retour des soldats en travaillant la terre.


Des femmes et des soldats


Les Gardiennes est d’abord un fil de saisons qui défilent, d’attente, d’espoir, de désir. Ce n’est pas un film bavard, mais plutôt un film contemplatif, qui emprunte à l’esthétique d’un tableau comme Les glaneuses, et s’intéresse aux corps, aux gestes et à leur répétition. Il y a quelque chose de purement sociologique, ethnographique dans cette description minutieuse des travaux des champs. La dureté est réelle, mais Beauvois décide de montrer non pas des femmes courbées, mais des femmes fortes, bien droites, qui travaillent sans relâche. D’ailleurs, c’est à une robuste apprentie qu’Hortense fait appel pour l’aider à la ferme, une femme aussi douée « pour les travaux fins que pour les travaux de force ». Elle saura donc aussi bien coudre que diriger les bêtes. C’est ainsi qu’elle débarque dans la vie de deux femmes qui attendent le retour des frères et d’un mari pour l’une, de ses fils pour l’autre. Entre elles, la douceur et la confiance s’installent d’abord. Francine fait peu à peu partie de famille, même si ça n’est jamais complètement, elle le découvrira bien assez tôt. C’est surtout elle qui intéresse le réalisateur : le visage très graphique de son interprète Iris Bry, son air buté, parfois illuminé par des troués de bonheur et sa petite voix, sa robustesse aussi. Aux côtés de Laura Smet, mystérieuse, froide et « fatale », et de Nathalie Baye, entre dureté et fragilité, elle ne démérite pas, malgré un jeu parfois un poil mécanique.


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« L’honneur, c’est quoi ? »


Et puis il y a les hommes qui parfois reviennent du front en permission, mettent leur grain de sel dans les affaires que les femmes font pourtant tourner du mieux qu’elles peuvent en leur absence. Ils sont là avec leurs démons, l’impossibilité de faire face à ce qu’ils ont vécu. Beauvois les filme comme des animaux étranges, souvent trop étrangers au foyer qu’ils retrouvent, comme les pièces manquantes d’un puzzle qui ne viendraient pas tout à fait compléter celles déjà assemblées. Ils sont un peu trop frais et propres sur eux parfois, si bien qu’on n’a pas toujours l’impression véridique qu’ils reviennent du combat, mais c’est un détail. Car dans ce rythme lent, posé, doux et cette esthétique très naturaliste que présente Beauvois, il y a aussi beaucoup de beauté, d’humanité. Les femmes sont présentés comme mille facettes de l’être humain et de ses contractions. Les Gardiennes ne renonce donc pas à aller jusqu’à sonder la noirceur des âmes, même dans l’apparence quiétude du paysage, lui aussi omniprésent. Les saisons défilent et la neige revient toujours s’étaler dans toute sa blancheur, ignorant les souffrances de la terre, de la chair, des esprits. Francine s’affirme peu à peu, se découvre, s’enthousiasme, tombe de haut et devient un personnage à part entière, passionnant et touchant. Elle tente tant bien que mal de trouver sa place, donnant de la voix, du corps, de la vie dans tous les actes qu’elle pose. Et c’est avec respect et humilité que Xavier Beauvois filme une page d’histoire. Les Gardiennes n’est pas particulièrement féministe, bien qu’il mette à l’honneur des personnalités de femmes affirmées, endossant aussi bien des rôles assignés à la gent féminine que des travaux plus régulièrement assignés aux hommes, c’est un film humaniste avant tout. Les femmes y sont duelles, elles sont un ensemble en apparence solidaire, qui peut s’éparpiller à tout moment et dont la destinée est scellée par celle des hommes qui se battent et qui tombent au champ d’honneur. La paix revient avec ses espoirs de changement, mais c’est pourtant la vie qui est à reconstruire. Il y a dans l’attente que filme Xavier Beauvois, quelque chose de presque mystique, en tout cas c’est avec fluidité et grandeur qu’il pose sa caméra sur ces terres nourricières que la guerre n’a pas rendues complètement stériles. Au final, ce sont beauté et lumière qui de ce dégagent de cette œuvre délicate et sensible. On en ressort plus qu’apaisés.

eloch
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le 9 déc. 2017

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eloch

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