Les Garçons
6.8
Les Garçons

Film de Mauro Bolognini (1959)

Directionless, so plain to see... une belle virée vers nulle part


Un film qui m’a paru beau et intéressant, mais en dernière analyse insatisfaisant.


Sur le scénario : je ne connais pas bien l’oeuvre de Pasolini, mais j’ai eu le sentiment qu’on retrouvait, ici, des figures récurrentes chez lui : les mauvais garçons, les prostituées, tout ça m’a fait penser, par exemple, à Mamma Roma (qui est par ailleurs un film très différent, bien sûr).


Parce que le visionnage a suivi de peu celui des Vitelloni et du Casanova de Fellini, je me suis dit aussi « bon sang, ce que le cinéma italien de ces décennies-là a le chic pour mettre de très belles images sur des personnages ennuyés, anomiques, dépourvus de tout but ». Oui, je regroupe trois films qui n’ont rien à voir entre eux, je le sais bien ! Tout de même, je suis frappé par cette association répétée (et qu’on pourrait trouver paradoxale) entre une grande beauté plastique et un fond quand même bien dépressif. J’ai l’impression que je pourrais aussi dire la même chose de certains Antonioni, tiens.


Quelqu’un ici disait voir une contradiction entre le scénario âpre de Pasolini et la réalisation léchée de Bolognini. L’écart ne m’a pas dérangé, mais il est vrai que ça ne forme peut-être pas un tout cohérent. Evidemment (vieille antienne), dès qu’on représente quelque chose par une oeuvre d’art, on est déjà très près de l’embellir, mais il y a différentes manières de faire ça. Puisque je parlais de Mamma Roma : là, même si la beauté formelle est évidente, Pasolini arrive à la faire coexister avec une glauquerie qui s’impose au spectateur, y compris (surtout) visuellement. Le terrain vague avec ses ruines y est à la fois solennel comme un théâtre antique, et vide et déprimant comme un vrai terrain vague. J’ai eu le sentiment que le film de Bolognini, lui, jouait la carte d’une beauté plus « neutre », plus indépendante de son sujet.


Mais vraiment, ce qui me pose le plus de problèmes ici est lié à l’anomie des personnages. Je trouve qu’elle contamine la structure même du récit, qui tend quand même à l’informe, à la suite d’épisodes. Cela va d’ailleurs avec les liens entre ces personnages, qui se font et se défont avec rapidité : on embarque les prostituées, puis on les laisse en pleine campagne ; Ruggeretto rencontre la jeune femme blonde et paraît s’en amouracher, mais on ne la reverra pas ; les garçons se disputent, se séparent, etc. Ce côté hyper-volatile des relations fait pour une part l’originalité du film (et je me dis que c’est quelque chose qui ne pourrait être aussi bien rendu qu’au cinéma ; la littérature, qui a des temporalités différentes, ne permettrait peut-être pas de saisir pareillement la fugacité de certaines tranches de vie), mais a aussi un côté profondément désespérant. Pasolini me paraît se tourner après vers des formes plus tragiques (Mamma Roma, Médée...), et je le comprends mieux. La tragédie, même quand c’est horrible, c’est une structure qui a une grande force, et qui ouvre vers autre chose. Là, je me retrouve un peu prisonnier de l’ennui profond de cette bande de jeunes mecs...


Cela dit, je n’ai pas passé un mauvais moment : c’est quand même bien beau ! Il faudrait que je le revoie carnet en main pour dire quelque chose de ces aspects-là, mais j’ai trouvé qu’il y avait là une beauté très picturale, comme si Bolognini prenait beaucoup de plaisir à composer des tableaux divers, en variant les compositions, la lumière, etc – plaisir qui m’a semblé, d’ailleurs, quasiment indépendant du sujet qu’il traite. Certaines des scènes dans la campagne m’ont fait penser à du Segantini...

Et sur ces tableaux vient se poser, la nuit venue, le jazz de Piccioni, nerveux, suspendu entre un repos qu’on refuse et une violence qui n’éclate jamais vraiment.


Le casting (au moins masculin) m’a paru dans l’ensemble très bon. Largement dominé par Terzieff, bien sûr, qui parvient admirablement à incarner physiquement son personnage : l’agressivité difficilement contenue est évidente dans ses postures, ses gestes... Et en même temps, à d’autres moments, de vrais gestes de gamin insouciant, des regards rêveurs : c’est lui qui m’a paru symboliser le mieux la dualité de ces garçons. Et sa belle gueule, parce qu’elle est tout de même anguleuse, avec un truc sauvage, ne m’a pas semblé déplacée ici.

J’avais vu Interlenghi mutique et rêveur dans Les Vitelloni, et je le croyais, je ne sais pas bien pourquoi, sans doute abonné à ce type de rôle. J’ai eu la bonne surprise de le trouver très convaincant dans un rôle entièrement différent : sans en faire trop, il parvient très bien à faire ressentir la veulerie pitoyable de son personnage. Veulerie pas excessive, au demeurant : plutôt du genre minable.

Brialy m’a laissé plus perplexe. Il a souvent les répliques les plus cruelles, mais elles collent mal avec des postures figées de garçon sage. Peut-être est-ce volontaire, mais je n’en suis pas certain : j’ai eu plus d’une fois l’impression de quelqu’un cherchant à « faire le méchant » sans y parvenir. Son jeu m’échappe un peu, mais il y a peut-être là quelque chose que je n’ai pas saisi. J’ai le sentiment qu’il pourrait être le personnage le plus complexe de la bande, mais je ne le cerne pas bien.

Les personnages féminins, en revanche, m’ont paru moins forts. Mylène Demongeot est belle ; Rosanna Schiaffino aussi, mais elles passent un peu comme des fantômes dans la nuit, tout de même. Aucune ne me semble aussi nettement dessinée que les garçons.


Je partirais plutôt sur un 6,5, en fait, mais la beauté des plans, même gratuite, est toujours quelque chose que j’apprécie beaucoup. Allez, on passe à 7 !

MerrimanLyon
7
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le 24 mars 2023

Modifiée

le 24 mars 2023

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MerrimanLyon

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