Le dernier Clouzot que j'ai vu remonte à il y a deux ans, et Les Espions creuse encore la distance en explorant des thématiques et des styles narratifs qui s'écartent grandement des classiques du drame policier qui ont fait la renommée du réalisateur. En tous cas personnellement je n'aurais jamais deviné l'auteur de cet étrange film qui embrasse vigoureusement l'ère paranoïaque de la Guerre froide en balançant des wagons entiers d'espions autour d'une clinique psychiatrique au bord du délabrement tenue par un docteur alcoolique. Même l'interprète principal, Gérard Séty, avec son comportement anormal et son jeu à la limite du mauvais, colore encore un peu plus l'intrigue de son étrangeté.


C'est en tous cas un film qui, volontairement ou non (je pencherais pour le premier), oscille sans arrêt entre thriller sérieux et notes comiques récurrentes, donnant fatalement l'impression de ne pas savoir sur quel pied danser, et me positionnant dans une situation inconfortable — jusqu'à ce qu'on accepte cette incertitude et ces allers-retours entre les deux registres. Il y a carrément des fois où on se croirait chez le Lautner de Les Barbouzes, et d'autres fois dans une parodie de James Bond avec des espions internationaux qui surgissent sans cesse dans le champ, un colonel américain qui confie une mission au héros, un mystérieux agent secret germanophone à protéger, et des chefs de renseignements secrets américains et russes (Peter Ustinov qui se dispute le bout de gras des informations. Au milieu du bordel, il y a quand même deux patients dans la clinique, histoire de pas oublier la signification du lieu de l'action, dont une femme muette interprétée par Véra Clouzot.


Au bout d'un moment, le jeu du chat et de la souris lasse, fatalement. Pendant un moment on ne comprend rien, et c'est ennuyeux, puis on comprend quelles sont les forces en présence, et ce n'est pas beaucoup mieux. Une fois la complexité dépassée, on passe simplement notre temps à se demander si les agents secrets savent eux-mêmes pour qui ils travaillent dans ce magma de manipulations et de mensonges divers, toujours entre loufoquerie et terreur (l'affiche de Siné va bien dans ce sens). Le dédale kafkaïen de ce repaire d'espions navigue entre la comédie et le drame, parfois pour le meilleur, mais sans doute un peu trop sur la durée.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Espions-de-Henri-Georges-Clouzot-1957

Morrinson
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le 15 nov. 2023

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