Vincent sort de prison après douze années d’incarcération. Charlie, sa jeune sœur est la seule personne sur laquelle il puisse compter. Il débarque chez elle alors qu’ils ne se connaissent quasiment pas. Dans la surprise de ces retrouvailles, Charlie dit à son frère qu’elle est artiste, graphiste même précise-t-elle. En réalité, il n’en est rien, la situation professionnelle de la jeune femme étant moins conforme à ses rêves qu’elle ne le laisse entendre. La question de la vérité est ainsi placée au centre du film. Charlie doit-elle révéler à son entourage que son frère est un ancien taulard ? Vincent doit-il avouer son passé carcéral à ses employeurs potentiels ? Le scénario lui-même, tout en étant très ancré dans une certaine vérité sociale, occulte sans cesse une part de la réalité. Nous ne saurons pas grand chose des raisons qui ont amené Vincent en prison, ni de la mère, laissée hors-champ bien qu’elle donne son titre au film (les petits drapeaux qu’elle lui envoyait ). Tous les personnages conservent ainsi une part d'ombre, le réalisateur choisissant d’ailleurs de masquer une partie du visage des comédiens dans plusieurs scènes comme pour accentuer cet effet d’occultation. L'équilibre entre ce qui nous est révélé des personnages et ce qui reste ignoré est un des aspects les plus réussis du film.
La façon de filmer les corps, le plus souvent en gros plans, est une autre caractéristique du cinéma de Nathan Ambrosioni. Pour Vincent, (Guillaume Bouix parfait dans ce rôle), la sortie de prison passe par un réapprentissage sensoriel : courir, improviser un match de basket avec des jeunes, jouer de ses mains avec la lumière du soleil, ou prendre plaisir à une averse orageuse. L’orage gronde d'ailleurs plusieurs fois dans ce film comme l’annonce de menaces à venir. Ainsi l’eau, à travers des scènes de pluie, de douches, joue-t-elle un rôle cathartique pour cet homme en « sortie sèche » encore hanté par ses douze années de taule. Noémie Merlant, toute en pudeur, semble de son côté réapprendre à vivre au contact de ce frère autant aimé que craint. Alors qu’elle semblait se consumer à petit feu, il apporte soudain à son quotidien vitalité et explosivité, pour le meilleur comme pour le pire. Mais au fil des jours, on comprend que cette complicité vécue à retardement, et donc avec une certaine priorité, rend leur relation exclusive. Fondamentalement différents dans leur personnalité, ils s'attirent comme les pôles opposés de deux aimants, ne laissant que peu de place à d'autres aventures amoureuses.
Mais le film n’est pas seulement centré sur les personnages, il s’attache aussi à la géographie des lieux, des paysages avec une certaine authenticité. Le quartier où habite Charlie, la plage, le supermarché, sont autant d’endroits familiers du réalisateur. On sent ainsi la volonté de restituer des souvenirs d’enfance et le charme sans fioritures de ces décors du quotidien : une boîte de nuit, un parking, un terrain vague. Pour autant, on a l’impression en bout de course que le film peine à embrayer et gagnerait à respirer davantage. Car à trop vouloir coller au plus près des états d’âme de ses personnages, en quelque endroit que nous nous trouvions, le réalisateur finit par nous perdre. Et si le scénario a le mérite de ne jamais tomber dans la facilité du pathos, on regrette dans la dernière partie qu’il s’enferre dans les mêmes schémas sans réussir vraiment à accéder à la puissance dramatique qu’on pouvait espérer.


Malgré tout, un film d’une grande justesse et d’une véritable maturité pour un si jeune réalisateur.


Personnages/interprétation : 9/10 (on connaissait G. Gouix mais il faudra suivre l'excellente Noémie Merlant)
Scénario/histoire : 7/10
Réalisation/musique/photographie ++ : 7/10


7.5/10


Critique originale publiée sur Lemagducine

Theloma
7
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le 22 févr. 2019

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Theloma

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