Voilà un vrai film de SF ! Puissant, prenant, comme on en voit peu. Attention nous ne sommes pas là dans le domaine du grand spectacle (encore que) façon Top Gun 2 _ J’ai apprécié ce film d’ailleurs _ non, nous parlons là d’un film qui se mérite, traitant de thèmes profonds et existentiels. Des mots qui peuvent faire peur à notre époque, bombardés que nous sommes de news déprimantes, pendant que nos frères et sœurs ukrainiens, eux, le sont par des bombes et une idéologie malade. Depuis la pandémie, le public est peut-être fatigué de résister à ce flot ininterrompu, pourtant il faut continuer, car _ attention spoiler !!! _ cette lutte n’en finira jamais. Et si décidément vous ne supportez pas cette situation qui ne vous permet plus d’alimenter votre feed, payez vous un voyage à Dubaï et prenez une résidence avec vos semblables dans le vaste open-space de vos cerveaux.

Après cette digression politique, reprenons calmement.

Règle numéro 1, ne jamais s’excuser d’aimer et de défendre les films intelligents et leurs auteurs.

La mise en place des Crimes du Futur est choc. (Attention divulgachage partiel sur 1ère scène) Une plage où un enfant joue sur le rivage. Ce n’est visiblement pas l’été. Sa mère inquiète l’observe depuis la terrasse. Ne touche à rien, crie-t-elle, avant de le rappeler à l’intérieur. Combien de parents de par le monde ont connu ce moments, jusque là, rien d’anormal. Pourtant l’atmosphère se tend, peut-être à cause de son émotion . Sa tendresse avec son enfant n’est pas si évidente. Ce que confirme d’autant plus le moment du coucher, elle surprend son fils en train de dévorer un poubelle en plastique, dont il ingère les morceaux grâce à une bave aux propriétés acides générée par sa bouche.

Elle l’observe longuement, son visage impénétrable reflétant progressivement le sentiment de révulsion qui la possède, alors que nous, spectateurs, en sommes encore à gérer notre propre surprise. Et c’est toute l’habileté du metteur en scène de s’en tenir à cette dichotomie de regards.

Car à partir de là, rien ne sera donné dans le film, il faudra aller chercher dans ses replis et ses sombres abîmes le sens qu’on voudra y trouver, enfouis sous sa chair, par ce chirurgien de l’âme qu’est David Cronenberg

Passé cette scène _ qui n’en restera pas là, donc _ nous suivons les pas d’un artiste contemporain mutant, créateurs d’organes internes (joué par Viggo Mortensen) dont la compagne chirurgienne (Léa Seydoux) procède ensuite à l’ablation lors de performances live filmées. La pratique de cet art lui vaut un statut culte dans ce monde en quête de sensations qui lui échappent, sorte de futur proche où la dernière mode consiste à subir diverses interventions chirurgicales en pleine rue, tirées d’un body-art poussé dans ses extrêmes. Ainsi on s’incise, se scarifie, se marque et se décore le corps de toutes les façons possibles et imaginables.

A ce moment de mon résumé, mes derniers interlocuteurs ont hoché la tête, le regard perdu et ne sachant que faire de mon air sérieux tandis que je leur racontais ça. Essayez vous aussi. A moins d’être cinéphile et connaisseur de Cronenberg, ça surprend toujours.

La réalisation tient de l’épure et d’une économie de moyens qui ne se perçoit que si on cherche à la voir. Les décors, tournés en Grèce pendant le covid, et leur photographie,appuient l’ambiance pré-apocalyptique. On retrouve le design bio-technologique, présent dans plusieurs films de Cronenberg se passant dans le futur, de certains objets se connectant directement au corps humain, créant ces hybridations qu’il affectionne, tour à tour troublantes, dérangeantes, repoussante, excitantes etc. Le cinéaste a toujours placé le rapport au corps au centre de son œuvre, des corps qu’il filme d’une manière qui n’appartient qu’à lui, traversant ses films dans des scènes choc qui bousculent nos certitudes, mais aussi de façon insidieuse et sensible, qui interrogent tout autant, et interrogent en n’oubliant généralement pas de divertir.

Sur ce dernier point, ce film est exigeant pour le spectateur, car faisant moins de concession à son plaisir immédiat. A cause peut-être de cette aridité —_très relative — j’ai crut comprendre que les entrées ciné n’étaient pas au rendez-vous, pourtant la promesse du titre, « Les crimes du futur », est tenue. Car Cronenberg a maintes fois démontré une intuition égale à celles des grands auteurs de SF et en ces temps d’incertitude, autant se renseigner sur ce qui nous attend pour s’y préparer. Mais pas besoin de trouver une utilité à l’art. Ni à ce film. Dont il est probable que quiconque le visionnera jusqu’au bout se prendra une claque tellurique, dont les répliques se feront toujours sentir des mois plus tard.

PS : Sélectionné à Cannes cette année, la palme d’or doit être sacrément costaude pour avoir ignoré un film pareil.

Swindgen
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le 19 oct. 2022

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