Le fantôme de Barberousse rode sur la Lang brumeuse

John Mohune, le dernier rejeton de l'ancienne, prestigieuse, décriée et redoutée famille éponyme, est envoyé par sa mère mourante au village de contrebandiers de Moonfleet, dans leur ancien manoir, à la recherche d'un certain Jeremy Fox, un ancien amour de jeunesse, pour qu'il s'occupe de son éducation. Ce dernier n'est pourtant pas des plus recommandables ni des plus chaleureux : derrière ses manières surfaites et ses costumes pompeux se cachent en fait l'impitoyable tête pensante de la contrebande locale et un tyran craint de tous dans le Sud de l'Angleterre de l'époque grégorienne...

Le mystérieux Jeremy Fox, c'est l'excellent Stewart Granger qui lui prête ses traits. Qui de mieux qu'un des plus grands acteurs britanniques de l'histoire, et une sommité du film de cap et d'épée qui plus est, pour incarner cette figure paradoxale et contradictoire de la littérature d'aventure anglo-saxonne? A la fois rustre et civilisé, pragmatique et insouciant, capable d'une violence crue envers ses hommes mais profondément ému par l'intrépidité d'un gosse de 10 ans dont il était éperdument amoureux de la mère, il n'y avait que la dandy Granger, le Beau Brummell du cinéma des années 50, pour relever le chalenge. Et avec quel panache! Le Rudolf Rassendy Sidney et le Scaramouche Thorpe de l'année 1952 n'ont rien perdu de leur superbe et de leur agilité au fleuret. Sans atteindre les enlevées flamboyantes de ces deux derniers films, Lang nous gratifie de somptueux morceau de bravoure, dont un combat au sommet d'une falaise et un duel à la hallebarde, et donne l'occasion à Granger de donner la pleine mesure de son talent d'escrimeur.

Car si le film doit beaucoup à Granger, il est aussi redevable envers son metteur en scène d'origine allemande qui a tout saisi de l'ambiance et de l'univers du livre, profondément ancrés dans l'imaginaire collectif britannique. Lang était le cinéaste universel par excellence et avait ce talent de saisir chaque postulat, chaque fondement de chaque culture qu'il abordait. Sans doute sa fuite de l’Allemagne nazie pour les États Unies, et un esprit déjà bien curieux à la base y sont pour beaucoup dans cette pluripotence culturelle (il tourna quand même en Allemagne puis en France, puis aux États-Unis, puis en Allemagne de l'Ouest!). En l’occurrence c'est dans une ambiance venteuse, brumeuse, fantomatique et assez terrifiante (la statue de pierre au yeux clairs m'a fait son petit effet, tout comme la ronde des visages hébétés et outranciers des contrebandiers) qui emprunte autant à Dickens qu'à Stevenson, voire qu'à Twain, que Lang transporte son spectateur.

A sa sortie, Moonfleet fut un échec critique et financier cuisant pour la Metro-Goldwyn-Maye qui cherchait sans doute à surfer sur le succès monstre du très faiblard Kim de Saville avec Errol Flynn, sorti en 1950, qui mettait déjà aux prises un enfant intrépide et un homme dur et sauvage au grand cœur (c'est Flynn, vous comprendrez donc de quel genre de personnage il s'agissait... avec une jolie moustache rousse d'ailleurs). Loin de se formaliser pour si peu, çà lui était devenu routinier de voir ses meilleurs films conspués à leur sortie (je pense notamment au sublime Clash by Night qui est un petit chef d’œuvre), Lang aura l'énorme surprise de voir son film devenir un film culte pour la Nouvelle Vague. Et si cela peut paraître étrange à ceux n'ayant pas vu le film, cela ne fait aucun doute pour les autres qui l'ont vu. Ah! Et il y a George Sanders, à mourir de rire en loyal sujet de la couronne britannique, finalement plus loyal à la couronne et aux diamants qui l'ornent qu'à l'empire britannique qu'elle est censée représenter. Un acteur dont je ne cesse de me délecter.
blig
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le 21 déc. 2014

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blig

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