Parler des Chansons d’amour, c’est être contraint de s’attarder sur la réputation de son auteur. Il semble qu'un malentendu s’est cristallisé autour de ce film, principalement à cause de Christophe Honoré. Depuis quelques années, le réalisateur est devenu, à raison, l’incarnation d’un cinéma confortable et peu inspirant. Toutefois, on ne peut pas retirer l’énergie qu’il a eue, lui permettant d’insuffler dans cette histoire d’amour une émotion complexe. L'importance accordée aux mots, en partie grâce à son activité d'écrivain, est dans le cadre de ce film musical, porteur de sens puisque se joue la tension entre le passage du parlé au chanté.


Alors qu’une grande partie de la
comédie musicale américaine saisissait la réussite amoureuse et scénique, Honoré est ici fidèle au dispositif du film musical moderne, plaçant son intrigue dans un quotidien tragique. Inspiré de la filmographie de Jacques Demy, il place le discours romanesque dans le cadre de la chanson. Ces dernières aident effectivement à faire avancer la dramaturgie car elles annoncent précisément le sentiment des personnages. Le rôle central de la chanson tient à créer un espace « à côté » du monde. Néanmoins, le cinéaste français révèle la nature profonde du genre en l’enrichissant plastiquement.


Christophe Honoré semble d’abord prolonger le geste musical de Jacques Demy et filme son trio amoureux comme celui d’Eustache dans La maman et la putain. Ne cachant pas sa proximité avec le cinéma de la nouvelle vague, la première demi-heure du film atteste cette ambition de retrouver le charme de ces films. Or, ces résurgences peinent à nous faire entrer dans le film et réussissent même à nous agacer. Si nous sommes dans un premier temps étouffé par la succession de références, Honoré rompt au cœur même des images ses inspirations qui l’encombrent. En effet, le cinéaste s’en écarte au fil du récit et renforce le lyrisme qu’il puise de ses inspirations et même à les dépasser.


Le basculement intervient avant la
mort de Julie pendant un déjeuner familial, lors duquel elle discute avec sa mère et sa sœur de sa relation amoureuse. A la fin de la conversation, Julie se colle contre la fenêtre. Son regard est dirigé vers l’extérieur pluvieux et un contre champ nous présente une partie de la Bastille. Par la rigidité du cadre, Honoré assène subtilement une scission entre les personnages et les symboles d’un Paris historique. Comme l’atteste le regard mélancolique de Julie, cette distanciation donne l’impression qu’elle s’éloigne du monde des vivants (le blanc de la lumière recouvre peu à peu la peau et la robe bleue de la comédienne). La photographie grise et bleue met, très précisément, en exergue un monde hanté par la mort.

Paradoxalement, le cinéaste montre un Paris familier. Plus réaliste et populaire, la ville est un ensemble plastique étrangement dur et froid.


Le mérite (modeste) est d’avoir enregistré le Paris de son époque. Dénué de tout lyrisme touristique, ces passionnés se retrouvent dans le 10ème et 11ème arrondissements. Des quartiers hétérogènes qu’Honoré matérialise dès les premiers plans du film. L’économie et l’efficacité de ses moyens participent à la conservation de l’énergie de la foule et nous met en perspective la volonté du cinéaste. Celle-ci est la somme des tensions produites par la vitesse. Se succèdent, des plans de circulation, où les personnages marchent ou courent dans les rues de Paris. Cette agitation est par ailleurs inhérente à la fabrication de l’œuvre, dans la mesure où la production fut mise en place rapidement, découlant intrinsèquement d’une certaine urgence.


Cette perception est plus qu’artistique car elle participe à une conception politique du monde filmé. Ces affiches politiques arrachées ou accrochées dissimulées dans l’image certifient l’éveil politique du cinéaste. Le terreau de cette légère bascule est réduit mais figuré régulièrement dans la mise en scène. La rose du logo du parti socialiste déchirée paraît être le reflet d’une rupture, remplacée par les affiches d’un Nicolas Sarkozy triomphant. Malgré cela, Honoré n’ambitionne pas de faire une fiction politique.


Son obsession atteint sa représentation la plus précise au dernier plan. L’écran est divisé par une ligne de partage, d’un côté la fiction et de l’autre côté le réel. Précisément, le romanesque s’est réfugié en haut de l’image et le monde réel en bas, rendu visible maladroitement par une épicerie. Conjointement, le quotidien et la fiction réapparaissent dans une forme différente et minoritaire. Le spot de lumière, se concentrant sur le couple Ismaël et Erwann, dessine le contour de la fiction, partagée entre l’amour et la mort. Finalement, le film s’achève subtilement sur un apaisement général des consciences, des êtres et des choses.


Modestement, Christophe Honoré s’approprie les moyens de son cinéma, afin de raconter une histoire plaisante à voir et fait ressortir le meilleur de ses comédiens. On retiendra principalement les prestations de Louis Garrel et de Grégoire Leprince-Ringuet (tout en justesse et sensibilité). Certainement sa seule œuvre « vivante », elle renferme finalement ce qu’on attend du cinéaste, à savoir une virtuosité et une spontanéité. Cependant, la disposition des signes culturels appauvrit les qualités réelles du long métrage. Cette tendance citationnelle est à présent le point noir d’un cinéma qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Bien que le réalisateur semble avoir lutté dans le passé contre un cinéma bourgeois, dans son texte célèbre pour les cahiers du cinéma, « Triste moralité du cinéma français », il en est à présent l’étendard le plus symptomatique et le plus dérangeant.

SBelghache
7
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le 23 juil. 2020

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Salim B

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