Bruce Wayne se la joue beaucoup moins quand il n'a pas sa batmobile...

Scott Cooper a un parcours étonnant : jeune acteur à peine remarqué pour ses rôles dans des gros produits hollywoodiens tels qu’Austin Powers, ou l’adaptation cinématographique de la série X-Files, l’homme sort de son relatif anonymat en réalisant Crazy Heart. Succès critique international quasi unanime, ce premier film romance des épisodes de la vie de Merle Haggard, grand nom de la country. C’est aussi un film tout entier dédié à Jeff Bridges, et dont la force réside justement dans le regard porté par un acteur, entre-temps devenu cinéaste, sur un autre acteur. Bien qu’il invite dans l’aventure son mentor Robert Duvall, ainsi que quelques amis (Colin Farrell notamment), le récit se concentre sur le rapport entre « Bad » (Jeff Bridges) et Jean (Maggie Gyllenhaal), et se distingue par l’attention remarquable qu’il porte à l’intime. Le travail conjugué du cinéaste et du comédien a permis à Bridges d’obtenir la consécration, en recevant l’Oscar du meilleur acteur.

Si l’on pouvait deviner l’attirance de Scott Cooper pour la destinée des classes laborieuses dans le portrait de ce working class hero, on comprend aujourd’hui que le monde ouvrier est au coeur de ses préoccupations. Avec Les Brasiers de la colère, Cooper nous plonge dans l’Amérique profonde du prolétariat, celle chroniquée également par Debra Granik dans Winter’s Bone. Un pays à l’abandon, miné par les ravages du capitalisme, et où seule l’économie criminelle permet de survivre. L’équation est simple, d’ailleurs : c’est ça, l’armée ou l’usine. D’où le conflit qui oppose ici deux frères, Russel (Christian Bale) et Rodney (Casey Affleck) : là où le premier croit en l’accomplissement personnel dans le travail, le second souhaite sortir de la misère en s’engageant dans l’armée. Fatalement, après plusieurs missions, Rodney revient brisé et, lâché par les institutions, trouve dans les combats illégaux le seul moyen d’oublier les horreurs de la guerre. Quant à Russel, les hasards malheureux de la vie vont se charger d’entacher ses rêves et, entre un accident et un séjour en prison, remettre en questions ses croyances.

Usant d’une liberté rare, Scott Cooper est aujourd’hui soutenu par le tout-Hollywood, et Les Brasiers de la colère bénéficie à la production d’un joli tandem, le regretté Tony Scott et Leonardo di Caprio. Au vu du sujet, on ne peut que saluer l’entreprise et le casting parfait réuni pour l’occasion. Peut-être un peu trop parfait, d’ailleurs. La première chose qui saute aux yeux, c’est l’aspect artificiel de cette réunion au sommet d’acteurs dont le professionnalisme n’est plus à démontrer. Nous ne sommes plus dans l’intime, mais dans l’introspection d’interprètes un peu trop portés sur l’Actor’s Studio, formation au jeu dont les adeptes, si l’on en croit Sergio Leone, s’adressent plus souvent à Dieu qu’au spectateur. Tous sont impeccables, aucun ne laisse la place à un possible accident créatif. Si dans Crazy Heart le duo Gyllenhaal/Bridges fonctionnait, les rapports fraternels entres Casey Affleck et Christian Bale sont très mal exploités. Trop souvent, Cooper oublie ses personnages pour offrir des scènes à des acteurs dont la présence au générique doit être capitalisée, qu’ils s’agisse de Woody Harrelson, de Willem Dafoe ou de l’imposant Forest Whitaker. Faut-il voir là le piège classique tendu aux acteurs qui deviennent réalisateurs ? Celui de chercher à profiter de leur pouvoir, pour soulager la frustration de n’avoir jamais été dirigés comme ils le souhaitaient ? Toujours est il qu’au lieu de s’effacer devant son sujet, Cooper transforme le monde de la galère en spectacle hollywoodien.

Influencé par un certain cinéma français empreint d’une portée sociale, celui de Laurent Cantet ou de Jacques Audiard, dont il admire le travail, Scott Cooper ne semble pas comprendre que la qualité de leurs films réside dans leurs scénarii. Du Cantet de Ressources Humaines, on peut à la rigueur trouver ici quelques vagues échos, mais c’est évidemment d’Un Prophète que s’inspire l’auteur pour filmer la prison. Mais la qualité de ces films vient pour beaucoup de la façon dont leurs scénarii ont été travaillés, en amont autant que sur les tournages. Un scénario n’est qu’une base qui se doit d’être continuellement retravaillé, du début jusqu’à la fin de la conception d’un film. Ici, trop occupé à s’amuser avec ses collègues, le cinéaste ne se soucie pas de faire oublier qu’il s’agit d’une construction artificielle, et applique sans recul ni travail de réécriture le programme de son script. On assiste donc, un peu affligé, à une succession de scènes « faisant sens », notamment un montage parallèle entre une chasse au cerf et un combat de free fight à l’issue dramatique. Il semble évident, au vu de son premier film, que Cooper a été grisé par les louanges, et n’a peut-être pas su prendre le recul nécessaire pour se garder de certaines aides trop pesantes. Autant dire que les faiblesses du film n’entachent en rien notre attachement au cinéaste, auquel on garde toute notre confiance pour l’avenir.
m_gael
4
Écrit par

Créée

le 17 janv. 2014

Critique lue 291 fois

2 j'aime

m_gael

Écrit par

Critique lue 291 fois

2

D'autres avis sur Les Brasiers de la colère

Les Brasiers de la colère
Gand-Alf
5

Le complexe du chasseur.

Un temps envisagé pour Ridley Scott avec Leonardo DiCaprio en tête d'affiche, Out of the Furnace est le second film de Scott Cooper, quatre ans après son remarqué Crazy Heart. A nouveau, le cinéaste...

le 8 févr. 2016

24 j'aime

Les Brasiers de la colère
jeremydehay1
2

Les flammes de l'ennui

Malheureusement, son casting cinq étoiles (Christian Bale, Woody Harrelson, Casey Affleck, Forest Whitaker, William Dafoe, Sam Shepard, ...) n'a pu sauver Les Brasiers de la colère du naufrage. Le...

le 15 janv. 2014

23 j'aime

14

Les Brasiers de la colère
Embrouille
3

Critique de Les Brasiers de la colère par Embrouille

J’ai voulu écrire très vite une critique sur ce film. Mais j’ai eu du mal. Je n’arrivais pas à décrire exactement ce qui m’avait déplu. Et en fait c’est très simple : je me suis fait...

le 21 janv. 2014

20 j'aime

5

Du même critique

Enter the Void
m_gael
6

Critique de Enter the Void par m_gael

J'ai rencontré Gaspar Noé a Cannes dans une soirée arrosée, il avait peur que je me fasse choper avec du shit sur moi. Le problème c'est que je ne consomme qu'une seule drogue: l'alcool. Bref, ça m'a...

le 29 nov. 2010

20 j'aime

7

Les Sorcières de Zugarramurdi
m_gael
3

De l'anarchisme au nihilisme...

Le cinéma espagnol, animé par un véritable instinct de survie, est l'un des plus passionnants d'Europe, et Alex de la Iglesia, sans doute son représentant le plus déglingué. Profondément marqué par...

le 7 janv. 2014

19 j'aime

10

Les Banlieusards
m_gael
4

Tolérance Zéro

Les Banlieusards, c'est le cadeau d'adieu aux années 80,les années Reagan, offert par Joe Dante pour les spectateurs américains. L'atmosphere n'est pas encore pleine de poussières de la chute du mur,...

le 25 févr. 2011

13 j'aime