Je vous parlais récemment de Life After Beth (2014), premier film du jeune réalisateur Jeff Baena, qui m’avait enchanté. On va s’intéresser aujourd’hui au troisième film du réalisateur, The Little Hours (2017), sorti chez nous directement en SVOD sous le titre Les Bonnes Sœurs, inspiré du livre Decameron de Giovanni Boccaccio qui avait déjà été adapté en film en 1971 par Paolo Pasolini. Decameron est un recueil de nouvelles publié entre 1349 et 1353 et notre film du jour est basé sur la première et la deuxième histoire du livre. Les Bonnes Sœurs est un film qui a dû faire bien grincer des dents à sa sortie aux États-Unis tant il n’est pas tendre avec les dérives et les tabous de la religion. Et on sait comment les fervents défenseurs du catholicisme du pays de l’Oncle Sam savent être virulents lorsqu’un film ose critiquer / se moquer / éreinter la chose. Et moi j’aime bien quand un film s’amuse à titiller des tabous de notre société…


Dans Le Decameron, Giovanni Boccaccio raconte l’histoire d’un groupe de voyageurs tentant d’éviter la peste et, pendant qu’ils trainent ensemble, ils se racontent diverses histoires pour passer le temps. Beaucoup de ces histoires sont grossières et sexuelles et le ton employé a certainement dû surprendre les lecteurs à l’époque. La tonalité de Les Bonnes Sœurs semble correspondre à cette vision de Giovanni Boccaccio. L’histoire se passe en 1347 alors qu’un serviteur d’une riche famille se soit enfui après avoir couché avec la femme de son maitre. Il trouve refuge dans un monastère quasi exclusivement féminin dans lequel il compte se faire un peu oublier. Il veut éviter les mêmes ennuis ici mais avec des nonnes qui rivalisent pour attirer son attention, la tâche risque d’être ardue. Les Bonnes Sœurs, c’est comment l’arrivée d’un jeune et bel homme dans un couvent va changer la vie de ses religieuses qui, pour la plupart, n’ont jamais demandé à être là. Car à l’époque, les filles non désirées et non mariées étaient souvent forcées de rentrer dans des couvents, qu’elles le veuillent ou non, sous peine de, entre autres, mourir de faim. Bien que le film se déroule au 14ème siècle et que les décors et les tenues soient adaptées à cette époque, les dialogues et les comportements des personnages sont résolument modernes. Les mots « fuck » ou « fucking » sont légion mais, si j’ai bien compris, Boccaccio écrivait en langage familier de son époque et c’est ce que fait Jeff Baena ici. L’anachronisme que cela représente pourrait donc être fidèle au matériau d’origine. Les dialogue sont par ailleurs très bons, tantôt très fins, tantôt versant dans le grossier. Mais surtout, ils ont pour la majorité été improvisés par les acteurs qui n’avaient eu qu’un plan détaillé du scénario et rien de plus. Cela leur permet d’être réellement spontanés et d’avoir un côté souvent percutant.


Mais si ces dialogues sont aussi excellents, c’est aussi parce qu’ils sont joués par un casting absolument génial, dont une grosse partie est déjà présent dans celui de Life After Beth, et des personnages très funs. Aubrey Plaza semble une fois de plus prendre un malin plaisir à jouer un personnage déséquilibré et assez borderline. Les personnages d’Alison Brie et de Kate Micucci sont aussi confrontés à leurs propres démons, et toutes sont sexuellement frustrées et désespérément en quête d’un peu d’attention (masculine ou féminine). Kate Micucci, qu’on avait pu voir dans les séries Raising Hope ou Big Bang Theory, est une fois de plus excellente avec ses mimiques faciales très expressives. Quant à John C. Reilly, il semble adorer jouer ce prêtre ivrogne et bavard qui, alors qu’il écoute attentivement les confessions et donne de sages conseils, cache ses propres méfaits. Seul Dave Franco, relativement bon lui aussi, est sous utilisé alors qu’il y aurait eu des moments piquants à développer avec son personnage. Les sujets abordés sont lourds, car bel et bien réels encore aujourd’hui quoi qu’on en dise, mais traités avec légèreté et même le ridicule au bout d’un moment. Au fur et à mesure que l’intrigue se dirige vers une hypocrisie de plus en plus exagérée, le film n’en devient que plus drôle. Les Bonnes Sœurs s’attaque à la religion avec une telle assurance et une telle audace que, clairement, il se moque de ceux qui pourraient trouver le sujet offensant. Homosexualité, tentation, nudité frontale, jurons, envie, luxure, mensonges dans la maison de Dieu, … mais au final un film plein de tendresse qui nous gratifie de scènes absolument délicieuses (la scène de la confession est à mourir de rire) et dont on ressort avec le sourire. Jeff Baena arrive à maintenir le cap de son film tout du long alors qu’avec juste une blague de départ comme celle-là (un homme sexy qui arrive dans un milieu très féminin et normalement fermé au sexe), cela aurait pu s’essouffler bien vite. Si on ajoute à cela une bonne mise en scène, avec un visuel travaillé qui met très bien en valeur les paysages de la Toscane, vous obtenez un divertissement de très bonne tenue et impertinent.


Pour son troisième film, Jeff Baena s’attaque à la religion sur le ton de l’humour impertinent et même trash. Le résultat est souvent savoureux grâce à un excellent casting qui s’éclate tout autant que nous. Une belle découverte !


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-les-bonnes-soeurs-de-jeff-baena-2017/

cherycok
7
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le 29 mai 2023

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