La nuit on rencontre de drôle de gens
Un tueur à gage fainéant qui fait ce métier car il lui permet de ne prendre aucune décision, épuisé, désabusé, qui veut enfin faire un choix, le plus important de tous, celui que personne ne fait, ou sa partenaire rongée par un amour impossible qui empoisonne chaque parcelle de son corps, et de son cœur, et de son âme, ou ce jeune homme muet, qui est son propre patron, qui agresse les clients dans les magasins fermés qu’il s’accapare et qui devient blond quand il est amoureux, ou cette jeune femme, toujours au téléphone, qui pleure toujours quand elle raccroche, et qui le fait toujours sur l’épaule de cet homme muet, ou cette femme blonde paranoïaque, obnubilée par son image, qui parle, encore, et encore, et encore. Toujours.
La nuit à Hong-Kong les anges déchus flottent, perdus entre rêves féeriques et cauchemars macabres, au milieu d’un épais brouillards de fumée de cigarette, portée par les courants paresseux d’une ville qui ne dort jamais, dans les ruelles drapées de leurs néons fluos, dans les magasins exiguës baignés par le halo de leurs éclairages agressifs, dans les bars plongées dans les nimbes de leur obscurité illuminée, dans les restaurants perdues dans la pâle aura de leurs lumières blafardes, dans les couloirs toujours éclairées par une lumière lointaine vacillante, dans un tunnel qui semble ne jamais se terminer, où les stries lumineuses se reflètent inlassablement sur le béton grisonnant.
La nuit à Hong-Kong les anges déchus errent, solitaires, au milieu de l’immensité fourmillante d’une ville oppressante, perdus dans leurs pensées introspectives intempestives, accompagnés par le ronronnement du métro, les ronflements des moteurs de voitures, et les rythmes entêtants d’une bande son omniprésente. Ils se regardent, se parlent, se battent, et finissent temporairement ensemble, pour ne plus être seul, lassés d’eux même, et quand ils le sont, ils pleurent. Ils naviguent sans but dans la poésie mélancolique d’un univers nocturne à la liberté rédemptrice, suspendus à jamais dans le ciel faussement illuminé d’un environnement faussement sociale, entre les coups de feu et les giclées de sang qui interrompent brutalement le charme, pour mieux le faire revenir par la suite.
La nuit à Hong-Kong, parfois, les anges solitaires se rencontrent, au parfait moment de leur existence, dans un petit restaurant miteux, une cigarette à la main, le visage cabossé portant les stigmates d’un cœur en bandoulière.
Alors ils sortent enfin de ce tunnel interminable, lumineusement grisâtre, enlacées sur une moto lancée à pleine vitesse, le visages fouetté par un vent d'optimisme nouveau.
Et alors, l’aube se lève sur Hong-Kong.