Une fois n'est pas coutume, le titre français travesti totalement le sens du film. Ce premier long métrage de Lorenzo Vigas, récompensé par le Lion d'Or à la Mostra 2015, n'est en rien une comédie romantique mettant en scène un couple sulfureuse et fusionnel. C'est même carrément l'inverse.


Prenant parfois des airs de Shame, qui nous plongeait dans l'intimité d'un New-Yorkais souffrant d'une addiction sexuelle, le film nous permet de suivre Armendo, un prothésiste dentaire d'âge mûr qui fantasme sur de jeunes éphèbes. N'hésitant pas à affirmer sa supériorité économique, il les aborde avec aplomb, les arrose d'argent et se touche en scrutant leurs plastiques juvéniles dénudés. Il n'ira jamais plus loin. Jusqu'à la rencontre d'Elder, un jeune des rues qui sera l'objet de toutes ses attentions. Un jeu de répulsion et d'attraction s'enclenche doucement. Ils se découvrent, s'apprivoisent, se séparent, se retrouve pour finalement s'autodétruire en franchissant des limites infranchissables.


À mes yeux le film brille par sa capacité à nous plonger dans un espace-flou-temps apportant une seconde lecture sur les événements. Lorenzo Vigas joue astucieusement avec les profondeurs de champ pour souligner la manière dont les personnages évoluent en roue libre, happés par leurs obsessions. Dès le début du film, la chasse urbaine d'Armando donne le ton. De Caracas nous ne verrons qu'une masse vaporeuse qui n'est éclaircie que par la découverte de ses proies. Lorsqu'il se rend dans le squat d'Elder à son insu, il évolue également dans cette glaise voilée jusqu'à ce qu'il tombe sur une statue que le jeune homme lui a volée. Une fois prise en main, la pièce se dévoile entièrement et l'image se précise. Inversement, la vision d'Elder de l'appartement d'Armando sera également de plus en plus précise au fil de ses visites, le temps qu'il apprivoise les lieux. Et dans le même acabit, il est intéressant de voir que ces bulles troubles vont finir par fusionner lorsque la relation du duo atteindra à son paroxysme. Une idée assez originale et bien exploitée


Mais voilà... si les ingrédients pour faire un bon film sont là, j'avoue avoir été plutôt gêné par le côté académique de la démarche. Je ne connais pas les autres films de la sélection vénitienne, mais il va sans dire que ce long métrage est un ramasseur de prix : une relation ambiguë sur fond de lutte sociale qui déroule une histoire allusive magnifiée par un concept de réalisation original : tous les voyants sont au vert ! C'est dommage puisque j'ai eu l'impression que le film s'enfermait dans un moule alors qu'il aurait pu livrer d'autres choses plus intéressantes.


Je retiendrais de ce film qu'un bon laboratoire technique. Oui, Lorenzo Vigas délivre une histoire un peu caricaturale, mais il faut reconnaître qu'il a réussi à ériger une proposition formellement intéressante. Film à oublier ? Peut-être pas. Cinéaste à suivre ? Oh que oui !

GigaHeartz
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le 3 juin 2016

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GigaHeartz

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