Une superbe et très intéressante plongée dans l'univers du génie, grâce à la retranscription de près de 1300 pages de son célèbrissime Codex Atlanticus, rédigé dans sa quasi totalité en miroir et de droite à gauche.
Le documentaire nous plonge dans sa vie tumultueuse, retraçant avec le plus de justesse possible ses choix, ses orientations philosophiques, scientifiques mais aussi intellectuels en général.
Même si tout le monde a un jour au moins une fois été confronté à la Joconde, l'homme de Vitruve ou à la Cène, peu d'entre nous connaissent les raisons précises de leur succès, y compris à l'époque. Même ses oeuvres inachevées suscitaient déjà une émotion intense de son vivant, en raison notamment de sa vision insolente et novatrice.
On en apprend énormément sur les à côtés de son art, passionnants à tous points de vue: la précision incroyable dans ses croquis d'anatomie, qui impressionne encore aujourd'hui, mais aussi son utilisation hors norme du stylo à mine d'argent, précis mais qui ne pardonne aucune erreur, ou encore sa fascination en général pour la nature, dont il a issu la plupart de ses théories.

Et le documentaire va bien au-delà d'un simple résumé des croquis ou des textes issus du codex. Il les sublime avec une photographie sobre et efficace, et met surtout en relation ses notes, ses observations, avec le personnage. Il nous offre donc un reflet d'une vivacité étonnante de la part d'un personnage issu du commun, et donc non pollué par les croyances de l'époque.
J'ai découvert un peu de sa personnalité, de son côté marginal et pragmatique. Et c'est ce côté qui m'a le plus touché, car apparemment il était très avare de ses réflexions. On en apprend aussi plus ses penchants amoureux, puisqu'on suppose qu'il était homosexuel, par le biais de ses remarques mais aussi de traces liées à une perquisition après une dénonciation. Il a donc lutté de son vivant contre des comportements qui sont tristement toujours d'actualité.

On peut donc facilement faire un pont avec pont avec les moeurs de l'époque et la bêtise de certains de nos comportements de masse. Qu'on parle d'homophobie, ou d'intolérance en général. Car ses croquis ont traversé le temps pour nous montrer une pensée visionnaire, dont certains n'ont pu être exploités qu'assez récemment, comme la machine volante ou l'hélicoptère. Et on cite même la mine un ancêtre probable de la mine à fragmentation ou d'une rôtissoire automatique... Les domaines de ses observations sont vastes et toujours empiriques.

Mais un détail m'a particulièrement intéressé concernant les ateliers d'ingénierie. Léonard avait à l'époque de son arrivée à Florence été engagé comme apprenti par Andréa Del Verrocchio. (qu'il surpassera plus tard en tant que peintre, d'ailleurs) On apprend surtout que dans ces ateliers, on formait les gens dans de nombreux domaines de haut niveau et dans un contexte de loi de marché. On avait donc bien compris à l'époque que former et recruter des gens pour les faire travailler dans le contexte de vie de l'entreprise était capital. On savait donc investir sur le long terme, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Quand je regarde l'actualité, je ne vois plus qu'un monde où l'entreprise est sclérosée par ses propres visions à court termes et encore une fois par la spéculation. Elle ne forme plus d'apprentis à proprement parlé. On les parque dans un coin pour faire le sale boulot, mais on ne leur apprend plus rien. du coup le nombre de professionnels compétents, notamment dans l'industrie (dont je fais partie) se tarit. On ne trouve déjà plus assez d'ingénieurs en Allemagne et de dessinateurs en France... Mais on ne forme surtout pas. Ce contraste à travers le temps fait froid dans le dos. Même plusieurs siècles plus tard, le personnage sait encore nous alerter indirectement sur des comportements aberrants et contre lesquels il avait déjà lutté de son vivant... Comme quoi...

Pour terminer, je dirais enfin que des interviews de qualité nous ouvrent les portes du codex et de l'Italie de la Renaissance. Avec Florence et Milan, notamment, et bien sur l'impact de ces villes et de leurs moeurs respectives sur Léonard de Vinci. Les informations les plus pertinentes sont ressorties avec ingéniosité et insérée dans l'excellente trame du documentaire. L'information est donc assez dense, mais très bien écrite et narrée. L'approche novatrice permet d'éviter les écueils de ce genre de documentaires, puisqu'on ne se borne pas à faire le tour de ses oeuvres, qu'on passe au-dessus de la complexité du Codex Atlanticus et qu'on évite toutes les suppositions mystiques attribuées a personnage.

Je recommande donc ce documentaire. Il fait plusieurs ponts subtils entre notre société et la Renaissance, et permet de voir un De Vinci dans son époque, avec un peu de sa vision et surtout son approche personnelle de la science et des arts, fondée sur la nature.
J'ai trouvé qu'il manquait par contre quelques points de vue d'ensemble sur les pages du Codex, ce qui est un peu frustrant au final. On ne voit que des détails, bien sur exceptionnels dans leur qualité, mais on ne les voit pas dans leur totalité, ce qui est dommage compte tenu du fait qu'il sont inaccessibles au public, à part quelques uns distillés dans diverses collections.
Mais c'est un superbe travail quoi qu'il en soit.
amjj88
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le 19 nov. 2013

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