Après le raz-de-marée provoqué par « Le Syndicat du crime », John Woo se dit qu'il a sans doute carte blanche pour réaliser un film très personnel. Il a alors en tête les scénarios de « The Killer » et de « Une balle dans la tête ». Pas de chance pour lui, la « Film Workshop » de son pote Tsui Hark entend bien capitaliser le succès inespéré de son premier grand film ; Johninounet est prié de faire une suite. Ha oui, et puis, tu es gentil, tu ramènes Chow Yun-fat à la vie, s'il te plait, parce que les gens, s'ils se déplacent, c'est surtout pour lui, maintenant.

Pur film de commande, donc, mais Woo décide néanmoins de fignoler la forme de son nouveau bébé. Beaucoup plus solide d'un point de vue technique, les bourdes artistiques du premier opus sont pourtant réitérées et passent beaucoup moins bien car l'originalité et le souffle de pureté ne sont plus là pour aviver l'indulgence du spectateur. Mais commençons par le positif : le début du film est d'une grande classe. Le montage et la mise en scène font respirer une vaste introduction qui a vraiment le mérite de remettre en place les personnages dans leur nouveau contexte. Nous retrouvons Ti Lung, toujours aussi bon acteur, et, ô surprise !, Leslie Cheung qui est beaucoup plus crédible que lors de sa première tentative. Le scénario, signé Hark, semble aussi un peu plus complexe et les dialogues, en général, sont plus matures. On se dit qu'on a là une sequel en tout point supérieure et puis, patatra, ça commence à partir en couille. Ken, le frère jumeau de Mark arrive sur scène et cabotine à mort pour être au niveau de cooltitude requis. La scène avec le riz et les mafieux qui le rackettent est d'un grotesque qui, à chaque fois que je la revoie, me fous mal à l'aise. Mais le pire reste à venir : Ken prend sous son aile un ami ex-mafieux, Si Lung, devenu catatonique. Son interprète, Dean Shek, est alors passé d'une sobriété exemplaire (pendant toute l'intro du film, il a la classe) à une bouffonnerie totalement absurde à base de cris simiesques, de coulées de bave à peine supportables et de comportements d'une telle stupidité qu'ils feraient passer un gorille trépané pour un docteur en physique nucléaire. Toute la douleur de l'homme, sensée être le point émotionnel culminant du film est gâchée par ce ton grotesque omniprésent. Le pire, c'est que ça ne dure pas 2 minutes, non... On parle presque d'un quart du film !

On tient là tout le paradoxe du « Syndicat 2 » : ses scènes les plus réussies (et il y en a) surpassent ce qu'on a vu dans le premier opus, ce qui fait paraître ses échecs plus grands, plus lourds, plus retentissants. Le personnage de Ken a des moments de grâce indiscutable, où toute la classe de Chow Yun-fat éclate, mais le mépris du scénario pour une figure aussi improbable est patent (en gros, Ken n'en a rien à foutre que son frère jumeau soit mort et il endosse son célèbre manteau dans une espèce de mise en abîme qui en devient parodique). D'autres moments tragiques sont gâchés, comme cette scène où Kit (Leslie Cheung) en mauvaise posture, parle au téléphone avec sa femme qui vient d'accoucher : le nouveau papa répète mot à mot à Ken (qui se trouve à côté de lui) tout ce que sa femme lui dit, tout en bavant du sang, provoquant évidemment un effet comique tueur d'émotion. Merci à monsieur Woo d'avoir gâché une scène si importante...

Enfin, la grande fusillade finale, plus épique que tout ce que le premier film a pu proposer, est entachée d'une mise en scène et d'un montage encore trop brouillons pour vraiment nous faire ressentir la chorégraphie martiale qui se déroule sous nos yeux : la spatialisation des déplacements est encore trop approximative, les scènes s'enchainent trop rapidement, les héros se révèlent parfois trop statique pour être vraiment gracieux. Et au milieu de tout ça, pourtant, des moments incroyables surgissent : des face à face presque contemplatifs, des poses de demi-dieux sans que les acteurs doivent se forcer, des mouvements de caméras juste parfaits... Des éclats de perfection disséminés régulièrement et qui me font finalement apprécier l'ensemble, contre toute raison.

Une grande déception, pourtant, tant les promesses et les qualités de cette œuvre sont évidentes mais sans cesse contrebalancées par des visions d'horreur puériles, un laisser-aller inadmissible et des incohérences scénaristiques qui tuent peu à peu (au sens propre comme au sens figuré) tous les personnages auxquels on s'était attachés.
Amrit
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le 9 janv. 2012

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Amrit

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