Le Solitaire
7.4
Le Solitaire

Film de Michael Mann (1981)

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Après avoir fait premières armes à la télévision, Michael Mann investit le grand écran pour livrer un canevas extrêmement élaboré de ses obsessions plastique, thématique et artistique que l’on retrouvera tout au long de sa filmographie. L’introduction dans les rues sombre de Chicago frappé d’une pluie diluvienne donne déjà le ton, le metteur en scène y fait preuve d’un magnétisme hors pair nappé par le synthé onirique de Tangerine Dream, captant une atmosphère urbaine ensorcelante, baigné dans un filtre bleuté, accentué par le reflet des néons et constellation de lumières réfléchissantes sur la chaussée. Cette première incursion dans le polar se fera donc de nuit pour mieux s’immiscer au cœur d’un réseau interlope, aussi organisé que discret. Très vite, le film expose son sujet, celui d’un larcin de haute volée où rien n’est laissé au hasard, de la marque du coffre-fort aux outils employés pour en forcer l’ouverture. Cette rigueur assez maniaque dont fait preuve le voleur est aussi celle de son réalisateur qui ne laisse aucun détail lui échapper grâce aux conseils avisés d’anciens criminels et policiers, poussant le vice jusqu’à en recruter certains devant la caméra comme John Santucci qui interprètera un flic véreux ou bien Dennis Farina dans son premier rôle au cinéma, lui qui était justement spécialisé dans la lutte contre les cambriolages. Plus tard ce sera même Edward Bunker (Reservoir Dogs) qui sera dépêché sur la production de Heat, tandis que Danny Trejo en tiendra l’un des seconds rôles, l’acteur qui ciré autrefois les bancs de la prison, se convertira lui aussi dans une carrière d’acteur (Desperado, Une nuit en enfer, Machete).


Toute l’œuvre est baignée d’une mélancolie qui est également celle de son personnage principal auquel il manque une vie de famille pour parfaire son existence. Frank est un ancien taulard qui agit sous couverture, toujours en solitaire. Concessionnaire automobile le jour, et voleur une fois la nuit tombée. Il est un véritable expert dans l’art de percer les coffres sans en abîmer le contenu. James Caan interprète l’un de ses rôles récurrents qu’il affectionne tellement, celui d’un criminel endurci qui ne se laisse jamais impressionner ou marcher dessus, n’hésitant pas à jouer des poings et à élever de la voie ce que l’on verra face aux différentes tentatives de compromission de la part de ripoux et d’un parrain de la mafia qui cherchera à lui imposer sa loi. Le personnage est une magnifique ébauche de ce que sont les héros Mannien tout en contradiction. Des hommes enfermés dans leur mode opératoire, règles et carcan moraux qu’ils ne trahissent jamais, et leur désir de s’en détacher enfin pour pouvoir accéder à un bonheur à deux voués à entrer en collision avec le caractère imprévisible et inadapté de leur profession qu’ils tentent pourtant de calculer pour en maîtriser les moindres paramètres. L’émotion naît donc de cette dualité paradoxale, de ses deux parts irréconciliables, un peu comme cette violence que le personnage a bien du mal à intérioriser et qui cache en réalité une vulnérabilité d’adolescent qui refuse toute autorité. Le cinéaste souligne ainsi les états d’âme de son héros ce qui rapproche son polar d’un pure thriller, d’ailleurs les séquences d’actions ne viennent jamais parasiter l’histoire, elles s’inscrivent dans sa continuité. De la même façon que la tension ne naît jamais de l'action mais bien de ce qui précède, là où d’autres cinéastes moderne choisiront de faire l’inverse pour établir l’intrigue autour de gros money shot comme Michael Bay (Bad Boys). Cette densité et ce regard humain que Michael Mann porte sur ses personnages ont permis à ses œuvres de mener le polar vers de nouveaux horizons, en refusant toute complexité pour tendre plutôt vers une forme d’abstraction.


A cet égard, la romance évanescente qui se dessine tel un mirage entre deux opérations ne sera jamais que de l’ordre de l’illusion. Un fantasme poignant mais fugace qui durera juste assez longtemps pour permettre à Frank d’accomplir une « dernière » mission, celle censé lui rapporté un bon million. Le traditionnel gros coup avant la retraite sur fond de coucher de soleil affublé d’un écriteau « Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Un rêve aussi naïf que ce collage d’enfant auquel il s’accroche comme un rêve hors de porter pour lui, du moins tant qu’il continuera à mener cette double vie. Cette histoire d’amour est d’ailleurs ce qui va mettre en lumière ses failles d’être humain notamment lorsqu’il va se livrer avec poigne auprès de sa nouvelle compagne. Ces faiblesses tapis sous ses élans de virilités, c’est ce que les requins qui gravitent autour de lui vont justement chercher à exploiter. Car Frank est un individu qui manque de repères familiaux et qui a de ce fait noué une relation filiale de substitution auprès d’un mentor qui croupit derrière des barreaux et l’enjoint à cesser ses activités pour ne pas lui aussi à devoir y retourner. A l’inverse, c’est une autre figure paternelle qui va s’imposer à lui, celle de son commanditaire et employeur qui va justement chercher à s’introduire dans sa vie privé pour mieux le contraindre à faire des concessions, ce qui mènera les deux hommes à la confrontation tant redoutée. Son idylle amoureuse ne pourra donc qu’aboutir à une issue désastreuse, et tout ce qu’il aura chercher à ériger s’écroulera comme un château de carte par refus de se soumettre à cette autorité qu’il ne reconnaît pas, préférant alors appliquer la politique de la terre brûlée. Cet aveu de renoncement et la douleur d’un dernier adieu déchirant ne pourra donc s’atténuer qu’en extériorisant sa colère dans un grand feu de la Saint Jean, et un ultime bain de sang.

Le-Roy-du-Bis
7
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le 28 déc. 2023

Modifiée

le 18 janv. 2024

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