Pour son premier film, Léopold Legrand accouche d'une oeuvre lisse, dont l'histoire est gâchée par des lacunes dans l'écriture et un manque évident de vraisemblance.


L'idée de départ est intéressante : un couple d'avocats d'une bonne trentaine d'années essaye en vain de concevoir un enfant. Insémination artificielle, fécondation in vitro, aucun moyen n'est viable : Anna (Sara Giraudeau) fait systématiquement des fausses-couches. Le confort de leur vie bourgeoise qu'elle partage avec son mari Julien (Benjamin Laverne) tranche avec celle de la famille de Franck (Damien Bonnard), férailleur vivant avec son épouse Meriem (Judith Chemla) dans un camp de gens du voyage. Ils attendent un sixième enfant que leurs conditions de vie ne permettent pas d'accueillir. Une offre répondant à une demande, le deal se fait vite : Anna achètera l'enfant de Meriem lorsque celui-ci sera né.


En filigrane, c'est la rencontre en deux univers sociaux opposés : la rencontre du riche et du pauvre, du juste et du truand, de l'éduqué et du déscolarisé. La vie, elle, se crée du côté des modestes, comme pour souligner la beauté féconde d'une vie où les rapports de simplicité entre les membres d'une famille, en rupture totale avec la tartufferie d'une bonne société stérile, rendent à l'homme sa part d'humanité.


L'idée est bonne, mais très mal mise en scène.


Sur ce dialogue entre deux classes sociales que tout oppose, le tableau est trop imprécis. Le réalisateur ne fait pas assez ressentir la vie dans un camp de gens du voyage. On voudrait voir des choses qui ne se voient que là-bas, entendre des bruits particuliers, sentir des odeurs, ressentir des liens entre les individus d'une communauté aux codes éloignés des us bourgeois, écouter un langage, des accents différents, croiser des regards plus primitifs. Mais tout est lisse. On n'en apprend que trop peu, on n'en voit que trop peu. Dans certaines scènes de dialogue, on croirait entendre des personnes d'un milieu social identique échanger entre eux, alors qu'un monde les sépare. Le film échoue à montrer la singularité de cette communauté (peut-être par soucis de ne pas tomber dans la caricature), et à la confronter avec une classe plus aisée, trop peu décrite, alors même que l'objet du film était de montrer que même avec un telle fracture sociale, ces classes pouvaient être unies. Si, on voit bien quelques roulottes et Meriem a une coupe de cheveux avec une teinte vieille d'il y a 3 ans absolument horrible, mais à part ça... C'est pas très dépaysant. Le fils ainé du couple a de la gueule en revanche.


On ne ressent en réalité aucune fracture sociale, si ce n'est que les uns roulent en Audi, et les autres en camion des années 1970. Mais trop rapidement le lien social se crée alors qu'une méfiance devrait exister de part et d'autre des protagonistes. Il est impossible de concevoir que deux avocats, qui ont bien 10 ans d'exercice, s'étant battus pour réussir leurs études, s'imposer dans un cabinet luxueux à Paris, habitant les beaux quartiers puissent accepter d'abord cette invitation à boire un verre dans le camp de gens du voyage, puis sans trop se scandaliser une transaction touchant un enfant à naître. Même si l'on ressent une grosse dose de folie chez Anna, qui pourrait rendre la légèreté de ses hésitations à chambouler sa vie entière plutôt crédible, la facilité avec laquelle Julien se laisse convaincre n'est pas vraisemblable. Dans cette scène où Franck leur propose un verre au début du film, le ton est donné :


"- Vous venez prendre un verre ?

  • Non, merci ça ira.
  • Allez, venez prendre un verre.
  • Bon, d'accord. Quel charmant dépaysement"

J'exagère à peine.


Ce manque de vraisemblance est particulièrement criant dans la réaction de Julien au délire de sa femme. Comment un homme, qui a tant travaillé pour en arriver où il est, dans une profession qui demande une exigence particulière et dont la vie de couple est souvent mise à mal par les exigences du barreau, pourrait accepter sans trop d'ombrage que sa femme lui annonce que dans son dos, elle a filé 10 000 euros aux manouches pour leur acheter le gosse, et qu'elle va leur en redonner 30 000 autres ? Comment ce couple pourrait survivre à un tel désaccord qui va durer 7 mois ? Comment pourrait-il résister à la folie d'une femme qui va jusqu'à se mettre des plaids sur le ventre pour simuler sa grossesse auprès de ses amis, et mettant malgré lui Julien dans son délire en pleine soirée ? Et elle, comment fait-elle pour accepter qu'il la traite de folle (ce qu'elle est), qu'il n'accepte pas un choix aussi important pour elle, sans remettre en question la viabilité de son couple ? Le couple aurait dû exploser depuis longtemps, et si l'on assite à quelques scènes de tension, les personnages ne vont pas au bout de leurs émotions par pure facilité scénaristique.


Finalement, l'intérêt du film résidait dans cette évolution psychologique entre les deux couples tout d'abord, puis au sein même du couple d'avocats ensuite ; mais il échoue totalement à rendre tangible cette évolution psychologique, qui est totalement contrefaite.


Bon à part ça, les jeux d'acteurs sont assez médiocres, la faute à une direction sans doute du même acabit. Certaines scènes sont terriblement gênantes (la scène du verre au début), et le jeu des acteurs n'arrive pas à combler les failles du scénario.


On a même droit à une scène du gars trempé sous la pluie face à sa zoulette, c'est dire la platitude et le manque d'imagination artistique... La réalisation est plate, la musique inintéressante, les dialogues médiocres. La scène de l'accouchement est sympa mais ne représente pas assez bien toute la douloureuse profondeur qu'un tel moment peut représenter.


Il y a quand même quelques belles scènes : celle où la famille récite le Je vous salue Marie, ou encore la confrontation entre les deux couples dans le bureau de la juge, où les acteurs sont pour le coup vraiment bon. C'est toujours un peu tricher quand ça chiale, mais ces moments sont les seuls où j'ai ressenti quelque chose. Il y a aussi cette scène où la maternité de Anna s'accomplit lorsqu'elle prend son bain à poil avec la petite Lila, tandis qu'a lieu juste après la violente scène du placement d'Anna en garde à vue. C'est bien pensé, c'est fort. Pour le reste, c'est plat.


Léopold Legrand n'a pas vraiment de vision artistique. Il peut remercier papa : le piston lui aura permis de s'amuser avec une caméra et avec les 3,59 millions d'euros qu'auront couté le film.

Roro-blochon
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le 4 nov. 2022

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