Il était une fois, l'histoire d'un berger. Un beau matin (ou un bel après-midi, les textes sont incertains sur l'heure, mais c'était un mardi), un berger emmène son troupeau de chèvres (on est presque sûr que ce n'était pas des lapins, sinon il n'aurait pas été berger, logique) paître par-delà monts et vallées. Brusquement, le ciel s'assombrit, un amoncellement de cumulonimbus se forme au-dessus du berger, et un éclair fend l'air et vient frapper la terre à ses pieds. L'éclair est si puissant qu'il fend la terre en deux (l'histoire mentionne uniquement un gros orage et un tremblement de terre, mais faut bien broder un peu). Dans l'immense cavité formée par l'éclair et le tremblement de terre qui s'ensuivit, notre berger trouva un "cheval d'airain creux, percé de petites ouvertures à travers lesquelles, ayant glissé la tête, il aperçut un cadavre, qui était apparemment celui d'un géant." Le cadavre du géant était parfaitement nu, et plutôt que de vérifier ce que chaque homme normalement sain d'esprit vérifierait dans une telle situation, notre berger se contenta de prendre l'anneau d'or que le géant avait à la main (gauche sans doute, mais il n'y a aucune certitude, peut-être le géant était-il manchot et n'avait qu'un bras droit). Suite à cet événement, puisque dans ce conte, il doit pleuvoir des géants nus amenés par des éclairs régulièrement, il s'en alla vaquer à ses occupations le plus sereinement du monde, notamment en se rendant au conseil des bergers (ce qui confirme définitivement qu'il n'avait pas un troupeau de lapins).


En écoutant ses collègues syndiqués parler de leur prochain mouvement social, notre berger, sans vraiment y prêter attention, commença à jouer avec l'anneau du géant, qu'il avait passé à son doigt. En tournant le "chaton" de l'anneau vers l'intérieur (et non, désolé Krukru, il ne s'agit pas d'un Felis Silvestris Catus), il se rendit compte que ces collègues, en train de se cotiser pour l'achat de merguez, ne pouvaient plus le voir : l'anneau d'or pouvait le rendre invisible. En réalisant cela, notre berger, qui n'était pas le dernier des imbéciles (ou presque pas), se débrouilla avec le syndicat pour être envoyé auprès du roi, afin de discuter politique, ainsi qu'alimentation à base d'agneau et d'épices. Une fois arrivé au palais royal, notre berger, que nous pouvons appeler Jean-Louis (même si les textes parlent d'un certain Gygès, Jean-Louis, c'est quand même plus classe), en profite pour utiliser l'anneau, séduire la femme du roi, c'est-à-dire la reine et comploter avec elle pour assassiner le roi afin que Jean-Louis puisse prendre sa place. C'est ainsi que Jean-Louis devint roi de Lydie.


Lorsque Platon, au Livre II de la République, raconte cette fable du berger devenu roi grâce à un anneau magique qui lui permet d'être invisible, il cherche à montrer qu'une définition de la justice est possible, et que les échecs définitionnels du Livre I ne sont pas définitifs. Ces conclusions sont d'ailleurs excellentes, et je vous conseille d'aller les lire prestement. Ce qui me frappe, depuis la lecture de la République, c'est qu'à chaque revisionnage du Seigneur des Anneaux, je ne peux m'empêcher de faire le parallèle entre les deux. Un anneau d'or qui rend invisible, qui offre un grand pouvoir, mais peut conduire même le plus juste à commettre le plus atroce, vous admettrez que c'est une similitude troublante. Il ne fait presque aucun doute que l'ami J.R.R. avait la fable de Platon en tête lorsqu'il a pensé à forger l'histoire de l'Anneau Unique. A partir de là, les interprétations des intentions de Tolkien peuvent être multiples, et n'ont sans doute pas grand chose à voir avec le travail de Platon, quoique...


Reprenons rapidement l'analyse exposée par Platon : Gygès est un honnête homme, il a toujours été juste, c'est la découverte de l'anneau d'or du géant qui le conduit à agir injustement. Autrement dit, si Gygès a agi injustement, c'est qu'il en avait le pouvoir, ce qui signifie que s'il a été juste jusqu'alors, c'est qu'il n'avait pas le pouvoir d'être injuste. L'anneau lui a conféré ce pouvoir, c'est l'anneau qui permet à Gygès d'être injuste. Le pouvoir de l'anneau est celui de faire le mal, de commettre l'injustice, pour la satisfaction propre de son porteur. Il faut dès lors se souvenir des paroles de Gandalf, dans la Communauté de l'anneau : "Ne me tentez pas, Frodon ! J'utiliserais cet anneau pour faire le bien, mais à travers moi, il pourrait atteindre un pouvoir trop grand et trop terrible à imaginer." Tolkien fait de l'anneau de Gygès une forme ayant un pouvoir qui lui est propre : l'anneau séduit ceux qui sont à sa portée, d'autant plus ceux qui sont entrés en contact avec lui. L'anneau n'est plus la possibilité inévitable de l'acte injuste, mais l'injustice, le mal lui-même. Il est donc un point sur lequel Tolkien et Platon sont catégoriques et sans appel : on ne peut faire le bien avec l'Anneau d'or, qu'il soit celui de Sauron ou celui de Gygès. Quand on en a le pouvoir, lorsque l'on est persuadé et convaincu de ne pas en souffrir les conséquences, nous ne pouvons pas résister à la tentation de faire le mal.

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le 2 janv. 2018

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Xavier Petit

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